"La France semble ingouvernable" : la surprise des législatives vue par la presse étrangère
"Quel revirement ! Les résultats du deuxième tour des élections législatives françaises ont totalement déjoué les pronostics", s’est réjoui le quotidien belge Le Soir, dans un éditorial publié dimanche 7 juillet. "L’explication principale tient évidemment dans l’efficacité quasi inespérée du front républicain lancé par la gauche et suivi, parfois timidement, par le camp macroniste". Après des législatives anticipées qui ont, contre toute attente, porté le Nouveau Front Populaire en tête et écarté le Rassemblement national du pouvoir, les réactions étrangères célèbrent une France qui semble avoir retrouvé la raison.
En Espagne, le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez, s’est ainsi félicité que la France et le Royaume-Uni - où le Parti travailliste a remporté les élections législatives la semaine dernière - aient opté pour un "rejet de l’extrême droite et un engagement ferme en faveur de la gauche sociale". Outre-Atlantique, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a salué dimanche le triomphe "contre l’extrémisme" et la "maturité des forces politiques" en France. Même tonalité en Allemagne, où un responsable du parti social-démocrate (SPD) du chancelier allemand Olaf Scholz a jugé que "le pire" avait été "évité" avec le score décevant du Rassemblement national aux élections françaises, dont Emmanuel Macron ressort cependant "politiquement affaibli".
Car si les observateurs étrangers ont, eux aussi, pu souffler dimanche soir en constatant le renouveau d’un front républicain contre l’extrême droite, la presse internationale se pose désormais la question de savoir qui dirigera le pays et comment. "La France semble presque ingouvernable à l’approche des Jeux olympiques de Paris qui s’ouvriront dans moins de trois semaines", s’inquiète le New York Times. "Si le vainqueur a été une surprise, le résultat est conforme aux attentes : un Parlement sans majorité, composé de trois blocs opposés, aux programmes extrêmement différents et n’ayant aucune tradition de coalitions […] contrairement à de nombreux pays en Europe continentale", note le quotidien britannique The Guardian.
"Tout dépendra de la volonté de compromis"
Qui sera le locataire de Matignon dans les semaines à venir ? Les spéculations vont bon train. "Normalement, il devrait s’agir d’un membre du plus grand bloc parlementaire, mais la nomination d’un Premier ministre de gauche radicale risquerait d’entraîner des votes de défiance répétés", poursuit le journal progressiste. Autre problème pointé par The Economist, la probable difficulté qu’aura le Nouveau Front populaire, par son caractère hétéroclite, à proposer un chef de file qui puisse faire consensus : "avant le résultat des élections, l’alliance avait été incapable de présenter un seul candidat au poste de Premier ministre", remarque le journal libéral britannique.
Tout dépendra donc, résume The Guardian de son côté, "de la volonté de compromis de La France insoumise et de Jean-Luc Mélenchon". Quant à une alliance entre les macronistes et les secteurs plus modérés du NFP, à savoir le Parti socialiste et les Verts, "ils obtiendraient la plus faible des majorités". L’autre possibilité évoquée par le New York Times serait "que M. Macron tente de former une sorte de gouvernement intérimaire pour gérer les affaires courantes". Un gouvernement technique, à l’image de l’Italie, composé d’experts, d’économistes, de diplomates ou encore d’universitaires.
"Attention à ne pas décevoir"
Mais tous s’accordent à dire que, quelle que soit la solution trouvée, la France se dirige vers une longue période d’incertitudes et d’instabilité politiques. "Il semble qu’une crise constitutionnelle ne soit pas à exclure dans les prochains mois", écrit le quotidien new-yorkais, qui appelle également à ne pas sous-estimer le parti de Marine Le Pen dans les mois et les années à venir. "Même avec moins de sièges que prévu, le Rassemblement national occupe désormais une place dans la politique française qui efface un paysage politique d’après-guerre construit autour de l’idée que l’histoire de racisme et d’antisémitisme manifeste de l’extrême droite la rendait indigne des postes de pouvoir."
Attention également au risque de ressentiment parmi les électeurs du Rassemblement national, si ceux-ci venaient à avoir le sentiment qu’en plus d’être passé à côté de l’élection, le nouveau gouvernement n’a rien à leur apporter : "Ils auront le sentiment d’avoir été privés de la victoire par un coup monté par l’élite parisienne [de centre gauche]", prévient The Economist. La prochaine formation politique à la tête de la France portera ainsi une responsabilité immense : "La gauche et la Macronie doivent entendre et comprendre la colère [des millions de Français qui ont donné leur voix au RN] […]. Si les partis démocratiques ne s’attaquent pas fermement à ce sentiment de rejet, l’extrême droite aura de beaux jours devant elle", écrit Christophe Berti, rédacteur en chef du Soir, qui s’inquiète du risque que la nouvelle alliance ne soit "qu’un pansement provisoire".