Maître Jean, de sa table d'écolier à son bureau de directeur
Alors, "maître Jean" s’en ira. De cette école, dont il s’est déjà en allé une fois. Quand il était écolier. Pour mieux revenir directeur. Ce vendredi 5 juillet, c’est la cloche de la retraite qui a sonné. Laissant tout derrière lui, "sauf les souvenirs", et sans aucune appréhension. À l’école Saint-Joseph de Celles-sur-Durolle, comme pour toute la commune, c’est une page qui se tourne. Parce que Jean Seychal, c’est Jean Seychal.
Nul doute que les hommages pleuvront autant qu’il a plu ce printemps. À sa légendaire bonhommie attachante, se couple une rigueur reconnue dans l’enseignement. Enfant du cru, homme de terroir, de foi et d’engagement, il n’aura pas été le dernier à profiter de bons moments partagés. Les histoires d’une génération l’ayant côtoyé "à la grande époque" ne mentent pas. Avec toujours, une caractéristique que lui-même revendique : "l’ouverture d’esprit".
Il était conseiller financierMais puisqu’il s’agit de retraite, l’heure est venue de mettre sur le tableau noir le parcours de "maître Jean". Et sa philosophie. Écolier il a donc été, à Saint-Joseph, puis à l’ISP de Courpière. Sans véritable idée de futur, une fac de sciences économiques l’amène jusqu’au Crédit Agricole de Brioude, puis de Bourbon-Lancy. Le conseiller financier d’alors se voit proposer le poste de chef d’agence… à Annecy.
Mais j’ai toujours voulu être plus ou moins sédentaire du secteur. J’avais mes amis, et surtout, j’aime bien la vie que l’on a ici. C’est quelque chose d’interne à la personne. Sans parler d’être casanier, je ne suis pas un grand voyageur.
"Et puis, je me suis dit “bon, je fais partie de La Patriote, j’aime la vie associative, l’intergénérationnel, j’aime organiser des manifestations le week-end…” C’est là où j’ai su qu’il fallait faire des choix, parce qu’une fois le plan de carrière lancé, il est difficile de faire marche arrière. J’avais 28-29 ans. Et j’ai passé le concours d’instituteur, en 1989."
Jean suit son "intuition", sa "voix intérieure", bien qu’il n’ait jamais été prédestiné à être enseignant. Mais pour lui, ce sera l’enseignement privé. "J’aurais pu tout à fait être dans le public, où il y a des gens géniaux, mais j’avais des convictions, au niveau de la foi, de la spiritualité, et ce n’est pas pour ça que les enseignants du public n’en ont pas, mais pour moi c’était plus facile de les vivre dans un établissement lié à l’enseignement catholique", précise-t-il, prenant dès lors sont premier poste à Courpière. Avant d’être nommé en 1996, directeur à Celles-sur-Durolle, "parce que personne ne voulait d’une école rurale."
Directeur de sa maîtresseJean se retrouve à enseigner dans cette salle de classe qui l’a vu élève. Et pose sa craie sur des tableaux avec lesquels il a grandi, et qui sont toujours là, comme les tables d’écoliers. Il retrouve aussi dans son équipe pédagogique la maîtresse qu’il avait eue. De quoi mettre un peu de pression.
"En arrivant, j’ai senti que je devais faire preuve de beaucoup d’engagement, parce que j’allais avoir les enfants de tous ceux qui étaient en classe avec moi. Et comme nul n’est prophète en son pays, il fallait faire attention. Je me suis dit : “Mon petit Jeannot, il faut que tu sois à la hauteur”. Je n’avais que le choix de m’investir complètement. Et je pense que c’est réalisé. Ce qui me procure quand même une grande joie."
Entre l’enseignement différencié et les groupes de travail, il faut savoir jongler avec toutes les variables de l’humain quand on fait de la pédagogie. Mais Jean s’appuiera sur ses convictions pour, toutes ces années durant, faire au mieux, avec toutefois le recul nécessaire.
Ma foi, et la croyance dans l’être humain, sont totalement associées, et ça m’a bien aidé à me dépasser. J’avais ma pierre à apporter dans l’éducation globale que les élèves doivent recevoir. Et on peut leur parler de spiritualité sans faire de prosélytisme. C’est très important, d’avoir une liberté d’esprit, tout en étant un témoin, avec un témoignage qui n’est pas que la parole, mais qui peut être l’exemple dans la vie de tous les jours.
Jean se disant surtout "très satisfait dans le privé, d’avoir la visite des inspections, de suivre le programme normal, car on veut évoluer avec la République française, c’est le gage de la qualité".
Sobriété dans les achatsLe maître s’est aussi tenu à donner de la rigueur, et des bases, "pour que les élèves puissent choisir plus tard. Si on n’a pas d’acquis, on ne peut pas le faire. Et avec l’évolution du matérialisme, dit-il, avec tout ce que l’on peut avoir tout de suite, c’est compliqué de faire des choix. Nous-même à l’école, on subit la société de consommation, avec un peu moins de respect dans le matériel. Alors on joue la sobriété dans les achats, et on facture aux familles. De toute façon, on n’a pas besoin de choses inutiles."
Jean ne sera pas le seul à prendre sa retraite. Son Berlingo vert, qu’il prête, tirera lui aussi sa révérence à 300.000 km, et n’ira plus chercher chaque jour à Thiers, les repas de la cantine. Et pour tout le reste, comme on ne peut pas tout dire en quelques lignes, il suffira de prendre un moment avec Jean. Car ce sont toujours des bons instants, riches d’enseignements.
Alexandre Chazeau