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Июль
2024

Elvis Presley et Richard Nixon : cette folle entrevue entre le "King" et le président

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Dans un pays polarisé comme les Etats-Unis, la musique populaire – pop, rock, folk, jazz, country, rap – reste le dernier langage commun des républicains et des démocrates. La Maison-Blanche s’est donc toujours intéressée à ses stars : Frank Sinatra, Elvis Presley, Bob Dylan, Bruce Springsteen, Kanye West, Taylor Swift et d’autres. Avant l’élection du 5 novembre, L’Express vous raconte, en huit épisodes, l’histoire des couples improbables formés par les bêtes de la scène musicale et les animaux politiques présidentiels. Des duos très pop’n’pol !

EPISODE 1 : Kennedy et Sinatra : une bromance épique, une rupture fracassante

Fin 1970, Richard Nixon, au pouvoir depuis près de deux ans, est un président en pleine gloire, hautement populaire chez les Américains (sauf les jeunes), qui comptent sur lui pour mettre fin à la guerre du Vietnam. Deux ans plus tard, le républicain est même réélu triomphalement en remportant 49 Etats sur 50 ! Encore deux années et le scandale du Watergate l’obligera à démissionner, mais ceci une autre histoire… Elvis Presley, lui, est au contraire une star en perte de vitesse. Devenu acteur de cinéma (Le Shérif de ces dames, L’Idole d’Acapulco, Micmac au Montana…) durant les années 1960, le chanteur a progressivement été éclipsé par les Beatles, Bob Dylan, Led Zeppelin, les Doors, les Rolling Stones et d’autres encore.

"Soudain, Elvis est devenu has been, dépassé par la culture hippie, résume Daniel Ichbiah, auteur d’Elvis Presley. Histoire et légendes (Danicart Publ.). Rebelle à ses débuts en 1954, le chanteur, né dans le Sud rural, est maintenant un conservateur nixonien, alarmé par la révolte de la jeunesse, la contre-culture et le déclin des valeurs traditionnelles." Telle est la situation au moment de l’unique et incongrue rencontre jamais organisée aux Etats-Unis entre un président (Nixon) et un roi (Elvis, le "King").

Tout commence à Memphis (Tennessee). Pris d’une lubie dans la solitude de sa demeure de Graceland, le King décide de rencontrer le président des Etats-Unis dans les plus brefs délais. Son idée fixe : lui demander d’intégrer le Bureau of Narcotics (la police antidrogue). Muni d’une plaque d’agent fédéral, il entend devenir agent secret pour démasquer les trafiquants qui grouillent dans le show-business. Ainsi, imagine-t-il, il participera au redressement des Etats-Unis.

"J’aimerais beaucoup vous rencontrer, M. le président"

Quelques heures plus tard, le voici en business class à bord d’un vol d’American Airlines en route vers Washington. Pendant le trajet, il rédige une lettre de six pages sur des petites feuilles à en-tête de la compagnie aérienne. "M. le Président, tout d’abord, je voudrais me présenter. Je suis Elvis Presley, je vous admire et j’ai un grand respect pour votre fonction, commence-t-il. J’ai parlé au vice-président Agnew à Palm Springs il y a trois semaines et je lui ai fait part de mon inquiétude pour notre pays", ajoute-t-il en énumérant ses motifs d’inquiétude : "La culture de la drogue, les hippies, les étudiants, les Black Panthers." Elvis omet bien sûr d’indiquer qu’il est lui-même dopé aux médicaments, accro au cocktail de calmants et d’excitants.

Ne doutant de rien, le chanteur de Love Me Tender et Heartbreak Hotel poursuit : "Je peux et je veux rendre tous les services possibles pour aider notre pays. Je souhaite donc être nommé agent fédéral itinérant [NDLR : c’est-à-dire sans affectation précise ni bureau, mais avec tous les droits attachés au titre]. Monsieur, je loge à l’hôtel Washington, chambre 505-506-507. Je suis enregistré sous le nom de Jon Burrows. Je resterai dans la capitale aussi longtemps qu’il le faudra pour obtenir les lettres de créance d’un agent fédéral. J’ai étudié de près les dangers de la drogue et les techniques de lavage de cerveau employées par les communistes et je serais ravi de vous aider, à condition que cela reste confidentiel." Un brin naïf, mais armé d’un culot d’acier, Elvis conclut : "J’aimerais beaucoup vous rencontrer pour vous saluer, si vous n’êtes pas trop occupé."

Le rock’n’roll n’est pas la tasse de thé de Nixon

A l’aube du 21 décembre, Elvis, qui vient d’atterrir, se présente à la grille de la Maison-Blanche, sa missive à la main. Il est à 6 h 30. Eberlué, le soldat de permanence transmet l’enveloppe à l’administration qui, de bureau en bureau, atterrit chez le proche conseiller du président, Egil Krogh. Lui-même admirateur du rocker, il préconise de donner suite à sa requête. En lisant le mémo de Krogh, H. R. Haldeman, le chef de cabinet de la Maison-Blanche qui est le véritable gardien du bureau Ovale, écrit dans la marge : "You must be kidding" (Vous voulez plaisanter). Se ravisant, il envisage toutefois qu’une photo d’Elvis avec le président ne saurait nuire à ce dernier et pourrait même améliorer son image auprès de la jeunesse.

Quelques sosies d'Elvis Presley dans L'Express n° 1414 du 14 août 1978

Ne reste plus, dès lors, qu’à convaincre l’intéressé. D’abord incrédule, le président juge la demande extravagante. Au reste, le rock’n’roll n’est pas sa tasse de thé. Amateur de musique classique, musicien émérite (il joue de cinq instruments : piano, clarinette, violon, accordéon, saxophone), Nixon est en outre l’auteur d’un concerto pour piano ! Mais, en définitive, pour lui, la politique l’emporte toujours. Alors, va pour une entrevue avec "The King of Rock’n’Roll"…

Entre le président et le "roi", le courant passe

L’après-midi même, le flamboyant Elvis, enveloppé dans sa cape noire, une ceinture en or et un col pelle à tarte, est conduit vers le sommet du pouvoir. Entre-temps, le King n’a pas perdu de temps. Il s’est invité au Bureau fédéral des narcotiques, où il a rencontré le vice-directeur John Finlator. Collectionneur d’insignes de police, il demande au n° 2 de l’antidrogue s’il pourrait recevoir celui du Bureau of Narcotics. "Absolument impossible", répond Finlator. Presley : "J’ai un rendez-vous avec le président ; cela ne vous dérange pas si je fais la demande auprès de lui ?" Finlator : "Ce sera, pour sûr, le seul moyen de l’obtenir, Elvis", sourit, goguenard, le vice-directeur en raccompagnant Elvis à la porte.

Le 9 août 1974, le 37e président des Etats-unis Richard Nixon dit au revoir au staff de la Maison Blanche sous le regard de sa fille Tricia Nixon Cox et son gendre Edward Cox. / AFP PHOTO / WHITE HOUSE

A la Maison-Blanche, le chanteur et Nixon partagent des M. & M’s et du Coca-Cola. Elvis évoque le concert hippie de Woodstock en 1969, fustige les Beatles "simplement venus aux Etats-unis pour faire du fric", dézingue John Lennon, l’accuse d’antiaméricanisme. Entre le roi et le président, le courant passe. "La rencontre s’est déroulée dans une atmosphère tout à fait cordiale", écrit Antoine Coppolani dans Richard Nixon (Tempus/Perrin). Leurs affinités tiennent sans doute à leurs origines sociales modestes. Le premier est fils de métayer, le second, d’épicier. Tous deux ont servi dans l’armée : Nixon dans la Navy pendant la guerre du Pacifique, Presley en Allemagne en 1958.

Amateur d’armes à feu, le chanteur à la voix de velours n’est pas venu les mains vides. En guise de cadeau, il a apporté un coffret renfermant un Colt 45 et une série de balles en argent. Les agents du Secret Service ont cependant confisqué le présent à l’entrée de la Maison-Blanche. Pas question d’approcher le président avec une arme. Rapidement, l’obsessionnelle star aborde le sujet qui lui tient à cœur : le président pourrait-il lui obtenir un badge de policier antidrogue ? "Voyez si on peut lui obtenir ça", dit Nixon en se tournant vers Krogh. Elvis recevra ensuite un insigne… purement honorifique. Submergé par l’émotion, Presley, sans doute sous l’emprise d’excitants, serre brusquement le président dans ses bras.

Une photo pour l’Histoire

"De l’avis général, le président a accueilli Elvis et ses deux gardes du corps avec bienveillance, en le remerciant d’avoir attiré l’attention sur les problèmes de toxicomanie dans le pays", estime, à Los Angeles, Jim Byron, qui préside la Fondation Richard-Nixon. Après une demi-heure et une séance de photo, l’entrevue s’achève.

Tenu secret pendant plus d’un an, l’épisode sera révélé par un article du Washington Post en janvier 1972, cinq ans avant la mort du King en 1977. Disponible à l’achat depuis 1988, la photo de la poignée de mains entre les deux célébrités est la plus demandée aux Archives nationales américaines. Sorti sur les écrans en 2016, le savoureux Elvis & Nixon retrace le fameux impromptu, avec Kevin Spacey dans le rôle du président et Michael Shannon dans celui du King. Il fallait bien un film pour raconter ces trente minutes où la réalité a dépassé la fiction.

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