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Июль
2024

"Il faudra se battre sans répit" : une jeunesse désenchantée face au spectre d'une victoire de l'extrême droite

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Voir l’extrême droite dans l’entrebâillement de la porte du pouvoir effraie-t-il vraiment une jeunesse pour laquelle le Rassemblement national est, depuis dix ans, l’une des forces politiques majeures du pays ? Un jeune de moins de 30 ans a connu Marine Le Pen au second tour de deux présidentielles (2017 et 2022), le RN en tête lors des trois dernières Européennes (2014, 2019 et 2024).Et ils ont vu entrer massivement le parti fondé par Jean-Marie Le Pen à l’Assemblée nationale il y a deux ans, et devenir la principale force d’opposition. Alors, quel écho le spectre d’une majorité absolue synonyme de prise de pouvoir du lepénisme reçoit-il chez cette génération ?

« Si le RN passe,  ça ne changera rien »

Dans le centre-ville de Riom, une bande de jeunes converse de tout sauf de politique. Les débats du second tour des législatives glissent sur eux. Deux sur cinq sont allés voter. L’un d’eux prédit une « révolte » si le RN passe. Un autre lève les épaules : « Ce n’est pas un problème s’ils passent, ça ne changera rien. » Dans le quartier prioritaire de Croix-de-Neyrat, à Clermont-Ferrand, aucun des six vingtenaires croisés ne s’est déplacé. « Pour quoi faire, pour nous, ce sera toujours pareil, avec ou sans eux », soupirent-ils.

La génération qui a connu le vote sous l’ère Macron cumule les déconvenues, du Covid au retour de la guerre en Europe en passant par l’urgence climatique. « Je suis assez blasé de la situation, grince Vincent, étudiant clermontois. Je me dis qu’on est déjà foutus donc un peu plus ou un peu moins… On est une génération un peu perdue, on manque de repères, on vit des bouleversements, des désillusions. Je ne crois pas en la politique. »

57 % La part des jeunes qui ont voté le 30 juin, contre 30 % en 2022. Et en majorité, ils ont accordé leurs voix à la gauche.

Au lendemain de la dissolution, le doyen des députés du Puy-de-Dôme, le communiste André Chassaigne (73 ans), repart sans ciller au combat. Au lancement de cette improbable campagne, une jeune militante lui souffle l’idée de créer un compte TikTok, réseau social sur lequel Jordan Bardella a habilement orchestré sa communication auprès de la GenZ.

« À Saint-Anthème (près d’Ambert), le coach du club de foot m’a raconté qu’après chaque entraînement, ses joueurs s’assoient, prennent leur téléphone et boivent l’apéro avec Bardella en regardant ses vidéos, se désole le député PCF. C’est massif, ça fait de la bouillie et on ne l’a pas vu venir. »

À ses côtés, Laura des Jeunes communistes capte des tranches de campagne, les monte et poste de courts formats dans l’espoir de les viraliser. « Il a une bonne tête tiktokable, André, sourit-elle. C’est un peu le seul moyen de toucher les jeunes dans la circonscription. » De Thiers à Ambert en passant par Pont-du-Château, le candidat est arrivé en tête (39,6 %), sans surprise. Le score de son adversaire du RN Brigitte Carletto en est une, en revanche. Sans ancrage local, elle a attiré 32,79 % des électeurs.

L’après premier tour a ôté l’espoir naissant dans les rangs d’une gauche unifiée et cédé sa place à la gravité. « Il y a un moment où l’on s’est dit que l’on pouvait espérer plus qu’un barrage à l’extrême droite, convient Mathilde, jeune communiste. Mais tout ça s’est calmé. »

Le réenchantement de la gauche passera par un rapprochement des campagnes et des villes, veut croire Jérémie Henrion, coordinateur des jeunes socialistes 63. « Ma génération doit être unie sur des bases : avoir un boulot, une idée d’avenir, ne pas être inquiet du lendemain, pour accéder à l’enseignement supérieur, être dans un pays où la rémunération est décente. »

À Clermont-Ferrand, le quartier des facs se pose en épicentre des clivages politiques de la jeunesse. Ces dernières années, les tensions se sont étalées sur les murs où les tags racistes se sont multipliés. Les nuances de gauche (Unef, puis Union étudiante) d’un côté ont accusé le syndicat d’extrême droite proche du RN, La Cocarde étudiante, d’essayer de s’implanter par l’intimidation. Cette semaine, une inscription est apparue près de la fac de droit, comme un slogan de campagne redevenu d’actualité : « La jeunesse emmerde le Front national ».

Une jeunesse tournée vers la radicalité

Mais, est-ce toujours le cas ? La Fondation Jean-Jaurès s’est posé la question au sortir des élections européennes et a tiré trois enseignements de ce scrutin : l’abstention reste prégnante dans cette population ; le vote en faveur de LFI « s’implante durablement » et celui qui se porte sur le RN progresse significativement.

41 % Les jeunes de 18-24 ans ont voté en premier lieu et majoritairement pour le NFP.

Son ascension n’avait pas de raison d’éviter le Puy-de-Dôme. Depuis 2022, une partie de la jeunesse séduite par Marine Le Pen et Éric Zemmour s’est rapprochée d’organisations étudiantes, d’associations d’extrême droite, de groupuscules et de la branche jeunes du RN 63. Jeanne Soularue, 20 ans, est encartée depuis 2022 et milite activement depuis un an. Il en est devenu rapidement l’un des cadres et assure s’être tourné vers l’extrême droite parce qu’il a été séduit par le programme.

« Le seul qui porte des mesures concrètes et réalisables pour le pouvoir d’achat, défend l’étudiant en droit. C’est un parti qui a des mesures pour la sécurité, qui n’est pas dans l’écologie punitive et essaie de réduire l’immigration ».

Dans son essai La Fracture (Ed. Les Arènes, 2021), Frédéric Dabhi dresse le portrait d’une jeunesse tournée vers une forme de radicalité qui trouverait son origine dans une désaffection à l’égard d’Emmanuel Macron. Au premier tour des législatives, 41 % des 18 à 24 ans ont voté pour le Nouveau Front populaire, 23 % pour le RN et seulement 13 % pour le camp macroniste.

23 % Les voix pour l’extrême droite sont en nette progression par rapport à 2022 (+ 9 %).

Jeanne confirme « un clivage » entre deux camps d’une même génération qui se regardent : « sur les réseaux, il y a une vraie guerre RN contre NFP, admet-il. Les jeunes sont de plus en plus engagés donc ça fracture plus. Si la gauche passe, ce sera le chaos. »

« Il faudra se battre, sans répit »

Mardi soir, le danger portait un nom, place de Jaude, à Clermont-Ferrand : extrême droite. À l’appel de syndicats étudiants de gauche, des voix scandaient leur aversion pour le RN dans une ambiance lourde. « Les voir au pouvoir m’inspire de la crainte et de la peur, s’inquiète Judas, membre du collectif drag Morningstar. En tant qu’artistes queers, on va devoir défendre encore plus nos droits. Avec les personnes racisées et les femmes, il faudra se battre, sans répit. Une parole va se libérer. » Chez les jeunes LGBT +, nombreux sont ceux qui assurent s’inquiéter d’une violence qui se démultiplierait avec l’arrivée au pouvoir du RN.

Retour au pied des barres d’immeuble de Croix-de-Neyrat. Ramzi n’a jamais voté. Il dit : « est-ce que ma voix va servir à quelque chose ? »

Malik Kebour