Marine Tondelier, une renaissance qui ne fait pas l’unanimité
Mercredi 3 juillet. Marine Tondelier quitte le plateau de BFMTV à la hâte, laissant s’envoler l’une de ses fiches. Jordan Bardella entre dans le champ. Les deux chefs de parti se croisent, ne se serrent pas la main, ne se regardent pas. La secrétaire nationale des Ecologistes, qui jusqu’au bout aura demandé à débattre avec le président du Rassemblement national - quand lui le refusait - a dû se contenter d’une simple interview. Qu’importe finalement, car le psychodrame de ce débat avorté est venu alimenter cette forme de "Tondelier-mania", éclose en début de semaine. Précisément au lendemain de l’entre-deux tours, lorsque, au bord des larmes au micro de France Inter, Marine Tondelier étrille le "comportement de lâche" de Bruno Le Maire qui refuse d’inclure La France insoumise dans le barrage contre l’extrême droite. Un extrait viral, sur X (anciennement Twitter). Par-delà les murs de la maison verte, nombreux sont ceux à gauche qui saluent sa campagne active contre le Rassemblement national. Et la présentent comme une figure majeure de ces élections législatives.
Jeu de rôle
La native du Pas-de-Calais, élevée et installée avec sa famille à Hénin-Beaumont, repense-t-elle aujourd’hui à cette conversation il y a quinze ans, alors qu’elle est en dernière année d’études à Sciences Po Lille, avec son ancien directeur ? Elle souhaite devenir cadre dans la fonction publique hospitalière, mais l’idée d’un retour aux sources pour y faire de la politique lui chatouille l’esprit, depuis qu’elle a adhéré à EELV. "Tu as une fenêtre de tir liée à la déshérence de la gauche socialiste, lui conseille Pierre Mathiot à l’époque. Mais être une femme de gauche qui va au carton alors que le Front national se développe rapidement, ça ne va pas être facile. Tu vas prendre des coups." Va tout de même pour le carton. Quelques années plus tard, en 2014, le frontiste Steeve Briois gagne la mairie et fait de la ville le fief de Marine Le Pen ainsi que la vitrine du Front national dédiabolisé. Malgré les défaites électorales successives, celle qui s’était surnommée "l’autre Marine", aux législatives de 2012, reste. Elle est désormais patronne de sa formation politique, seule femme actuellement à ce poste. "Si on a un reproche à faire à Marine Tondelier, c’est de ne pas être allée affronter Le Pen à Hénin-Beaumont cette fois-ci", souffle un lieutenant du Nouveau Front populaire.
"Pour une partie de la population ici, elle est diabolisée. C’est la conséquence directe du matraquage dont elle fait l’objet par la majorité municipale", analyse Patrick Piret, conseiller d’opposition. Dans l'ultime bulletin de la commune, l’intéressée est la cible d’une tribune particulièrement violente, écrite par le sénateur RN et conseiller municipal Christopher Szczurek, intitulée "Aux dernières élections, M. Tondelier a récolté moins de voix que le Parti animaliste". "Il suffit d’aller sur le marché pour s’en rendre compte : les habitants de notre ville ne supportent plus la bobo parisienne", peut-on y lire. A Hénin-Beaumont, la mairie a fait de Marine Tondelier un épouvantail. "On ne veut jamais qu’elle parte, c’est notre assurance vie !", ose Bruno Bilde, député RN. "Ça ressemble à un jeu de rôle : Marine gagne au national en étant victime au local, et la majo gagne au local en tapant sur la bobo", tance, plus cynique, un compagnon de route. A quel prix ? "Quand on tracte, et qu’elle se fait insulter, Marine ne le montre pas, mais elle en souffre."
"Pas un trait d’union mais une fossoyeuse d’espoir"
Alors qu’une grande partie de la gauche s’est résignée à l’idée d’obtenir une majorité absolue Nouveau Front populaire, le CV de l’autrice de Nouvelles du front, la vie sous le Front national (Editions Les liens qui libèrent, 2017), est d’autant plus opportun qu’il permet d’alerter sur les dangers d’une éventuelle accession du RN aux responsabilités. Suffisant pour expier ce que beaucoup, à gauche et dans son camp, qualifient encore de "péché originel" ? Au NFP, on se souvient avec beaucoup d’aigreur des coups de panique de la secrétaire nationale, au soir de la dissolution, suite à son très faible score aux européennes (5 %) comme le racontait L’Express. "Il y avait pourtant une volonté de tordre le bras aux Insoumis grâce à un accord entre les Verts, le PCF, le PS et les Ruffinistes. Mais c’est quand même Tondelier, sous la pression amicale de Châtelain [NDLR : la patronne des députés écolos] qui est sortie de l’alliance qu’on avait boutiquée, est retournée voir les Insoumis dans notre dos pour sauver leur groupe parlementaire, souffle un stratège socialiste. Mais elle est maligne, elle a fait effacer l’image de celle qui s’est couchée devant LFI." Une opposante écolo sauce réalo fulmine : "Elle a remis Mélenchon au centre du jeu, participé de la bipolarisation LFI-RN. Ça n’en fait pas un trait d’union, mais une fossoyeuse d’espoir."
Avec sa veste verte devenue iconique et son franc-parler, l’ancienne collaboratrice de Cécile Duflot est tout de même parvenue à s’afficher comme le visage souriant du Nouveau Front populaire. Un deal gagnant-gagnant, avec toutes les chapelles. "L’émergence de Marine Tondelier démontre aux yeux de tous que notre alliance n’est pas que Jean-Luc Mélenchon", se réjouit le numéro 2 du Parti socialiste, Pierre Jouvet. "En bons marxistes, on a reconfiguré une division du travail utile à toutes les parties", ironise de son côté l’Insoumis Hadrien Clouet. Les écolos, petits bras de l’accord. "Elle est à la même place qu’Olivier Faure pendant la Nupes. Ça arrangeait tout le monde et ça ne faisait aucun tort aux Insoumis qui dominaient l’accord", explique une huile du parti à la rose. Prendre la lumière, sans faire d’ombre.
"Les vrais sujets existeront encore"
Mais gare aux incartades dans l’alliance ! Dans les colonnes de Libération, en milieu de semaine, la secrétaire nationale écolo déclenche une petite bombe au sein du Nouveau Front populaire. "La France va très certainement connaître une situation institutionnelle inédite. On va forcément devoir innover." Et d’affirmer, plus loin dans l’entretien : "Mais oui, on doit se montrer prêts à gouverner", alors même que Gabriel Attal plaide pour "une Assemblée plurielle", sans les Insoumis. L’entourage de Marine Tondelier l’assure : les Insoumis ne seront pas une variable d’ajustement dans un éventuel gouvernement de coalition. "C’est totalement prématuré de parler de ça maintenant", regrette un émir socialiste.
Le 9 juin dernier, au QG écolo de la rue des Petits-Hôtels, les militants ne savent plus où donner de l’œil. Marine Tondelier, sur le grand écran du local, commente la défaite cuisante de sa candidate (5,5 %) depuis un plateau télé. Au même moment sur l’estrade, Marie Toussaint, la malheureuse tête de liste, prononce son discours au pupitre. "Je prends mes responsabilités, et j’espère que tout le monde au sein de ma famille politique prendra les siennes." Tout le monde, c’est surtout la secrétaire nationale, qui avait ferraillé pour que les écolos partent seuls, déclinant l’intégralité des offres d’union à gauche. Sous la menace d’un congrès extraordinaire, la patronne du parti au tournesol est-elle parvenue à revenir auprès des siens en odeur de sainteté ? Le 13 juillet prochain, date du prochain conseil fédéral, sonnera comme une heure de vérité. "Les vrais sujets existeront encore", souffle un élu local influent. Ils seront commentés à l’aune du score final aux législatives.