Ancrage à gauche, mobilisation, progression du RN: anatomie du vote des 18-24 ans
En 2022, 30% des 18-24 ans s'étaient déplacés au premier tour des législatives, rappelle Laurent Lardeux, sociologue, chargé de recherche à l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep).
"Là, ils sont 57% à avoir fait le déplacement, le différentiel est considérable", preuve que "lorsque l'offre politique est simplifiée et les choix clairs, la mobilisation de la jeunesse peut être forte", ajoute-t-il.
Une mobilisation en hausse, et un vote majoritairement à gauche. Selon une enquête publiée par Harris Interactive pour Challenges, M6 et RTL, 41% des 18-24 ans ont glissé un bulletin Nouveau Front populaire (NFP, gauche) dimanche, 23% Rassemblement national (RN, extrême droite) - en nette hausse par rapport aux 14,1% en 2022- tandis que 13% ont choisi le camp présidentiel et 8% les Républicains (LR).
Une autre enquête, menée la veille de l'élection par Ipsos Talan pour France Télévisions, Radio France et Public Sénat, relève 48% des votes des 18-24 en faveur du NFP, 33% pour le RN et ses alliés, loin devant les macronistes (9%) et LR (4%).
"Les jeunes de 18-24 ans continuent de voter en premier lieu et majoritairement pour la gauche, en deuxième lieu pour le Rassemblement national", résume Jean-Daniel Lévy, directeur délégué d'Harris Interactive.
"On a une bipolarisation très marquée entre un vote plutôt social écologiste et une vote national conservateur" et par une "tripartition" dans les autres catégories d'âge, complète Laurent Lardeux.
Lors des dernières européennes, les primo-votants avaient également davantage voté en faveur de La France insoumise (LFI) que les autres tranches d'âge. Idem lors des législatives de 2022 où les 18-24 ans avaient voté à 34,9% pour la Nupes au premier tour -et 8,7% pour le reste de la gauche-, à 17,5% pour le camp Macron et 14,1% pour le RN.
Deux jeunesses
Cette polarisation "renvoie à des jeunesses qui sont différentes du point de vue de leurs conditions de vie, de leur territoire, de leur origine sociale, de leur niveau de diplôme ou de leur profession", note Laurent Lardeux, qui a co-dirigé l'ouvrage "Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie" (2021).
Les jeunes votant RN habitent plutôt dans "des zones péri-urbaines, font des études plutôt courtes, professionnalisantes", rappelle Tristan Boursier, chercheur à Sciences Po Paris et spécialiste de l'extrême droite. "J'ai le sentiment que c'est un vote davantage contestataire", car ils peuvent avoir la sensation "d'être laissés pour compte".
Outre le fait que le RN soit devenu un "parti attrape-tout", séduisant désormais toutes les classes sociales, il a bénéficié auprès des jeunes de l'engagement de ses cadres, en particulier de Jordan Bardella, sur les réseaux sociaux, de TikTok à Instagram, avec des vidéos très peu axées sur le programme, le montrant en train de rire avec des sympathisants ou boire du vin à une foire, analyse M. Boursier.
Le RN a aussi profité "du contenu politiquement engagé" de la "fachosphère", la sphère d'influence d'extrême droite, dont les vidéos dépassent parfois le million de vues.
"Sursaut"
Les jeunes engagés à gauche votent de leur côté davantage pour un projet: ainsi, "il y a une convergence entre préoccupation écologiste et vote à gauche pour les jeunes", souligne Tristan Boursier.
"Voir les partis de la gauche s'unir et porter des questions écologiques, ça fait du bien", confirme Célia, 21 ans, serveuse à Paris. "On ne ressent pas ces valeurs à droite. Dans le programme du RN, je ne vois pas qu'on essaie de sauver la planète".
Pour Jean-Daniel Lévy, "les thématiques abordées par le NFP autour du pouvoir d'achat" ont aussi "été plutôt entendues positivement" par les jeunes.
Sans compter "la dramatisation de l'enjeu" qui s'est traduite par le "sursaut de mobilisation" ces derniers jours, ajoute-t-il. "On n'est pas face à des jeunes aussi dépolitisés que ce qu'on pourrait croire: quand il y a un élément sur lequel leur vote peut avoir une incidence, ils sont prêts à se déplacer".
"Effaré" par les résultats des européennes, Loic, étudiant en arts de 19 ans, reconnaît que c'est avant tout "l'entrain collectif" qui l'a poussé à aller voter pour la première fois dimanche. Avec pour seul objectif, "faire barrage au RN".