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Июль
2024

Pourquoi le second tour des législatives pourrait déboucher sur la formation d'un gouvernement... sans le RN

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Pour la première fois sous la Ve République, l’extrême droite arrive en tête du premier tour des législatives. Les européennes n’étaient donc pas qu’un mouvement d’humeur ?

Oui, incontestablement. J’ai toujours considéré que le scrutin du 9 juin était l’expression d’un mécontentement très clair et surtout l’aboutissement d’une montée en puissance quasi inéluctable. Le score historique obtenu ce dimanche est en partie dû, je crois, à la dramatisation provoquée par la dissolution surprise, ainsi qu’à la théâtralisation et à la polarisation du débat ces dernières semaines.

Mais ce résultat confirme aussi, de façon plus essentielle encore, la réussite de la stratégie de la « respectabilisation » et de « dédiabolisation » du RN. Le parti a renoncé à un certain nombre d’attitudes provocatrices, à commencer par l’antisémitisme autrefois affiché par le Front national.

Nous avons également assisté à l’acculturation, notamment par la droite française – et pas seulement celle d’Éric Ciotti –, d’un certain nombre de thématiques identitaires, sécuritaires, immigrationnistes, qui étaient celles du Front national et qui sont devenues, j’allais dire, familières. Désormais, ce ne sont plus des tabous pour les Français.

La respectabilisation tient au comportement des députés RN à l'Assemblée, en contraste avec ceux de LFI. On a vu des gens qui tenaient leur rôle dans l'arc républicain, tout simplement.

Ce qui frappe aussi, au-delà des pourcentages, c’est le nombre de suffrages obtenus par le RN – plus de 11 millions…

En effet. On dépasse même le total d’Emmanuel Macron au premier tour des élections présidentielles de 2017 et 2022 (moins de 10 millions de voix dans les deux cas, NDLR). Cela veut dire, très simplement, que le RN est devenu le premier parti de France.

Désormais, nous sommes face à une nouvelle bipolarisation, avec d’un côté le RN, qui occupe le territoire de la droite – mais  avec un programme d’extrême droite –, et de l’autre le Nouveau Front populaire, coalition totalement hétéroclite et hétérogène, à mon sens artificielle et fragile.

Jean Garrigues

Le centre, lui, redevient un espace extrêmement restreint, composé des résidus de Renaissance, du Modem et d'Horizons, auxquels j'ajoute LR.Autre fait marquant : cette bipolarisation se fait aux extrêmes, à droite comme à gauche, puisque LFI reste dominant dans le Nouveau Front populaire.

Emmanuel Macron a donc perdu dans les grandes largeurs son pari de la dissolution. Le chef de l’État a-t-il sous-estimé le degré de rejet, voire de détestation envers lui ?

Il me semble, oui. C’est en tout cas difficile de voir les choses autrement. L’autre analyse serait de dire qu’il a sciemment provoqué l’avènement électoral du RN, en misant sur l’effet négatif que pourrait avoir l’exercice du pouvoir sur un Jordan Bardella devenu Premier ministre.

Ce serait quand même un calcul à la fois très cynique et très risqué, car une cohabitation pourrait à l’inverse conforter plus encore une image positive du RN. Reste qu’il y a, à ce stade, un échec total de la stratégie de la dissolution surprise.

Malgré les très nombreuses inconnues et incertitudes qui subsistent à ce stade, quel est selon vous le scénario le plus probable pour le second tour ?

C’est très compliqué de se prononcer. Si l’on se fie aux toutes dernières projections, on s’acheminerait vers une majorité relative du RN, avec l’appui des LR ciottistes. Dans ce cas de figure, logiquement, il n’y aurait pas de gouvernement de cohabitation avec le RN.

Jean Garrigues

Il faudrait donc chercher une autre solution, en installant un Premier ministre et un gouvernement qui ne seraient pas susceptibles d’être renversés par une motion de censure rassemblant 289 voix de députés de la droite, de la gauche et du centre.

Cela semble difficile, mais c’est une voie possible, d’autant qu’après une campagne aussi polarisée, front contre front, on voit mal les uns et les autres se coaliser pour renverser un gouvernement de ce type.

Cette hypothèse pourrait par exemple se traduire par la mise en place d’un gouvernement “technicien”, hors RN et sans couleur politique affirmée, qui pourrait être dominé par des ministres issus du centre-gauche. Mais tout cela reste hautement incertain.

Dans le cas où le RN remporterait une majorité absolue le 7 juillet, nos institutions seront-elles selon vous en capacité d’encaisser le « choc » ?

Je pense qu’elles sont totalement armées pour ça. On reviendrait alors au périmètre qui correspond aux origines et au sens profond des institutions de la Ve République. Il faudrait alors reconnaître une primauté au Premier ministre pour diriger et conduire la politique de la Nation.

Souvenons-nous que les trois précédentes cohabitations ont plutôt bien fonctionné, dans le sens où elles ont permis au chef de la majorité parlementaire qu'est le chef du gouvernement de mener sa politique. Chirac a mené à bien les privatisations, qui étaient le grand thème de la droite ; Jospin, a contrario, a fait voter les 35 heures sans que Chirac puisse s'y opposer. La contrepartie, ce serait l’affaiblissement du poids du chef de l’État. On ne serait plus, alors, dans une présidence “jupitérienne”.

Propos recueillis par Stéphane Barnoin