La chronique du temps présent d'Emma Becker : "Comme un submersible insubmersible submergé"
Il y a un an prenait fin la saga de l’été : à la question, qu’est-il advenu du submersible parti explorer les vestiges du Titanic, on avait désormais une réponse. La pauvre bête, prénommée Titan avait éclaté, et ce qu’il restait de ses cinq passagers tenait peu ou prou dans un bol de gaspacho au large de Terre-Neuve. Conclusion implacable à une poignée de jours où le monde entier avait vécu les yeux rivés aux réserves d’oxygène allant s’amenuisant, affolé par l’idée de l’équipage qui se regardait dans le blanc de l’œil. Le cauchemar avait laissé surnager un espoir fou –que ces gens soient encore en vie – lorsqu’il paraissait évident qu’il ne subsistait de ce bel esprit pionnier, imperméable aux avertissements des experts, qu’une poignée de débris picorés par la faune locale.
Un désastre prévisibleVoilà ma métaphore, après avoir entendu Macron et Darmanin condamner la soudaine libération de la parole raciste. Le désastre à venir est aussi prévisible, on nous en menace depuis assez longtemps ; depuis mes dix-huit ans, je n’ai jamais pu voter autrement que pour contrer l’extrême droite. Aucun souvenir d’une élection sans cet épouvantail sous le nez.
Et ça m’allait bien : il n’y avait personne, à part ça, pour réveiller en moi l’espérance de lendemains qui chanteraient un peu moins faux.
Dans cette histoire de submersible insubmersible submergé, il y a une parabole applicable à n’importe quelle situation humaine dont l’hubris serait l’acteur principal. Qu’y avait-il à découvrir dans les ruines du Titanic qu’on ne connaissait pas déjà ? Qu’est ce qui attendait, à 4 km de fond, dans l’obscurité complète, sinon la possibilité de la mort ? Et qui en a été surpris ? Ces riches qui se croient plus malins et plus forts que les autres…!
Le vaisseau sur lequel on nous engage contre notre gré, sous le prétexte d’un coup de poker d’un aberrant narcissisme, on a une petite idée du sort qui lui est réservé.
Le seul à en douter encore (quoique), c’est le capitaine, dont le but secret est de nous sauver in extremis, à la première fissure. Sauf qu’à cette profondeur, il n’y a pas de fin heureuse ; la seule supériorité des zozos du Titan sur nous, c’est qu’ils sont morts même trop rapidement pour penser j’aurais pas dû.
Vers la catastropheEn dépit des défauts de construction évidents, on a commencé la lente descente vers un inconnu qu’on ne connaît que trop bien : on avait déjà les images. Ce qui nous attend risque de durer un poil plus longtemps qu’une demi seconde. On nous aura sucré jusqu’à la terreur émerveillée qui a dû habiter l’équipage du Titan jusqu’au moment ultime ; la seule chose qu’on aura entendue, avant la catastrophe, c’est le capitaine glousser, décontenancé, que c’est drôle, on respire mal tout à coup, merde, qui l’aurait cru.
Emma Becker
Les chroniques du temps présent s'inscrivent dans la tradition créée par Alexandre Vialatte.