Nahel, un an après : pourquoi la France ne trouve-t-elle pas d’issue à la crise des banlieues depuis quarante ans ?
En juillet 1983, un garçonnet de 9 ans, Toufik Ouannés, est tué par un tir de carabine à plomb au pied d’un immeuble de la cité des 4.000 à La Courneuve (Seine-Sa int-Denis). En 1983, ce fait divers au retentissement national s’intercale dans une série de violences dans les banlieues, dont plusieurs « crimes racistes ».Dans les cités de la périphérie lyonnaise, les jeunes dits de « la deuxième génération » de l’immigration interpellent le pouvoir politique et l’opinion en organisant la « marche contre le racisme et pour l’égalité » jusqu’à l’Élysée. Cette « Marche des beurs », comme l’ont qualifiée les médias, confirme l’année 1983 « comme un point de rupture. Le malaise des banlieues ne fait dès lors plus aucun doute », relève Thibault Tellier, professeur d’histoire contemporaine à Sciences-Po Rennes.
La rénovation urbaine : « réponse technique »À quarante ans d’intervalle, les « secousses » déclenchées par la mort de Toufik et de Nahel, deux enfants de la région parisienne, ne sont pas de même nature. Si la mort de Toufik provoque la colère des jeunes de La Courneuve.
« A l’époque, les jeunes de banlieues ne sont pas dans une contestation radicale du système. On le voit bien dans le film Le Thé au Harem d’Archimède tourné à La Courneuve en 1985. Ces gamins ne sont pas contre la société »
. Alors qu’aujourd’hui : « les enfants d’immigrés de troisième génération ont un discours beaucoup plus radical, en intégrant le fait que leurs pères et leurs mères n’ont pas été entendus », poursuit l'historien, spécialiste des poltiques de la ville.
La cité des 4.000 à La Courneuve (Seine-Saint-Denis ) a depuis sa construction été un espace de rélégation. La « Marche des beurs » ne parviendra pas à se transformer en mouvement politique. Le président François Mitterand fera, durant l’été 1983, une « tournée » des cités, dont celle des 4.000, et impulsera le lancement de « SOS racisme ». La réponse politique la plus concrète qui va être apportée dès 1983, selon Thibault Tellier, sera « technique » et ne correspondra pas à la « transformation sociale » promise par l’arrivée de la gauche au pouvoir.
« Les gouvernements qui se sont succédé ont tout misé sur la rénovation urbaine. Alors que le problème est aussi culturel ».
En rembobinant ces quarante années, l’historien constate la fin de non-recevoir opposée « à l’envie d’intégration de cette jeunesse des banlieues dans la société française. Ça s’est dégradé très vite : en 1989, c’est l’affaire du foulard. En 1990, ce sont les premières émeutes urbaines généralisées à la France entière, puis il y a la réforme du code de la nationalité. Dès les années 1990, les modèles ne sont plus en France, avec une importation du conflit israélo-palestinien. On a parlé d’intifada des banlieues ».
Dans la marche blanche de Nanterre, au lendemain de la mort de Nahel
Pour Thibault Tellier, lui-même élu divers droite d’une commune de l’agglomération lilloise, la gauche française n’a pas su « produire un discours en résonance avec les attentes de ces quartiers, tout en rappelant le cadre républicain qui est le nôtre ». Le politologue estime ainsi qu’est vouée à l’échec la stratégie électorale de la France insoumise, qui « s’adresse à une population d’origine étrangère qui ne se reconnaît pas dans les fondamentaux et les valeurs de la gauche française ».Aujourd’hui, des investissements massifs ont permis à la Cité des 4.000 d’être « reliée au centre de Paris en douze minutes ». En 2021, Emmanuel Macron disait de la Seine-Saint-Denis qu’il ne manquait « que la mer pour que ce soit la Californie ». Force est de constater qu’il doit encore manquer un peu de volonté politique. Le Rassemblement national a annoncé que, s’il accédait au pouvoir, il mettrait ailleurs « les milliards d’euros dépensés depuis près de 40 ans » dans la politique de la ville.Thibault Tellier n’y voit qu’une manière d’aggraver la situation, alors que, selon lui, les secousses provoquées par la mort de Nahel l’an dernier ne peuvent même plus être raccrochées à la question des banlieues : c’est « la cohésion de la société française » qui est aujourd’hui compromise.
En 1983, l’irruption de l’extrême droite dans un exécutif localDans son livre-enquête L’enfant de la Courneuve (Michalon-Polars réels), l’historien réexamine les pièces de l’« affaire Toufik ». C’est bien l’examen de tous les « éléments de contexte » qui donne tout son sens à cette enquête. La cité des 4.000 est dès cette époque un symbole de l’échec des choix urbains des Trente Glorieuses. Achevés en 1962, ces 4.100 logements construits à la va-vite « n’ont jamais incarné d’espoir résidentiel. L’intervalle entre la construction et la dégradation a été extrêmement bref », pointe l’auteur. Qui recense aussi le propos visionnaire du maire de Grenoble Hubert Dubedout (PS) : « Qu’on le veuille ou non, nous sommes rentrés dans une société multiraciale, et avant, espérons-le, l’intégration de la troisième génération, cette période intermédiaire sera très difficile ». Thibault Tellier signale d’autres « alertes » sur une situation explosive, dont celle de Françoise Gaspard, maire de Dreux (Eure-et-Loir) entre 1977 et 1983. Cette élue socialiste se fera ravir la mairie cette année-là par une alliance entre la droite et le Front National. Son secrétaire général, Jean-Pierre Stirbois, devient premier-adjoint à Dreux. Une première accession au « pouvoir » local pour le FN.
Julien Rapegno