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Июнь
2024

“Nomad” de Patrick Tam, un film furieusement libre de la Nouvelle Vague hongkongaise

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Après “L’Enfer des armes”, le polar dégénéré de Tsui Hark ayant bénéficié d'une restauration en salle en début d'année, c'est au tour de Patrick Tam, autre figure emblématique de la Nouvelle Vague hongkongaise, de retrouver les écrans avec “Nomad”, son troisième long métrage inédit en France et désormais visible grâce à Carlotta dans une version 4K et director's cut.

“Nomad” est le nom d’un voilier qu’une clique de quatre jeunes gens (dont Leslie Cheung, pour qui c’est un des premiers rôles au cinéma) espère embarquer pour s’enfuir vers des contrées lointaines, le cap droit sur l’Arabie. Après leur rencontre, les deux couples, issus de classes sociales différentes, passent désormais tout leur temps ensemble. Ils s’éloignent peu à peu de l’oppression urbaine pour regagner l’horizon bleuté du littoral, une retraite qui sonne comme un repli défensif, à tirer des coups de harpon dans le soleil comme la promesse d’une fuite en avant brûlante.

Si le film commence comme une comédie excessivement légère, burlesque même, où les personnages se malmènent et chahutent dans un montage énervé, il arrive le temps de l’oisiveté et des amours naissantes. C’est le moment où la bande se laisse aller à ses épanchements, comme dans un Rohmer survolté et à la sexualité débridée. 

Rétention et explosion du désir

Car Nomad est fascinant dans la mue régulière qu’il opère, avec ses ruptures de ton inattendues. C’est ainsi qu’un rencard se voit inévitablement repoussé dans un appartement où l’on entre comme dans un moulin. Toute séduction empêchée, le couple s’exilera finalement dans un lieu public, un transport en commun qui sera le théâtre de leur union. Dans la plus belle scène du film, à l’étage d’un bus, les amants se draguent bruyamment jusqu’à faire éclater leur passion charnelle sur la dernière banquette. Et le coït voyage insolemment dans la nuit de la ville, ce qui ne manquera pas de faire immédiatement retentir les sirènes de la censure au moment de la sortie du film.

Pour l’autre couple, le début de leur histoire commune sera marqué par une soirée particulièrement riche en rebondissements (géniale scène où la jeune femme alterne entre deux amants au téléphone) et où l’étreinte y est également constamment retardée. C’est le trajet du film, de masquer la puissance érotique derrière la comédie, de retenir le désir pour mieux le faire advenir. 

Un monde rattrapé par la mort

Sauf que sous les caresses se logent une grande tristesse et une grande violence. De lourdes influences godardiennes, réinjectées ici dans une mise en scène plus nerveuse, le film se construit à partir de cadrages impeccables et des aplats de couleurs pétantes, un monde furieusement libre mais rattrapé toujours par la mort, comme dans Pierrot le fou.

Car dans un dernier basculement, avec un ancien ami japonais qui fait irruption dans le groupe, poursuivi pour avoir déserté l’Armée rouge, Nomad se transforme en film de sabre, déversant son bain de sang sur le sable chaud. Un dernier acte comme un ultime désenchantement, un cri d’agonie sans fin vers les mers. 

Nomad de Patrick Tam (1982, Hong Kong, 1h 36). En salles le 19 juin.