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Июнь
2024

L'Américaine Lisa Gossels de retour en Creuse, 25 ans après la sortie du film Les Enfants de Chabannes

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L'Américaine Lisa Gossels de retour en Creuse, 25 ans après la sortie du film Les Enfants de Chabannes

La cinéaste américaine Lisa Gossels s’est rendue au château de Chabannes, à Fursac, le 12 juin dernier, avec sa mère, le réalisateur Dean Wetherell et quelques amis creusois. Un lieu où elle tourna, à la fin des années 1990, Les Enfants de Chabannes, un documentaire consacré aux enfants juifs recueillis ici durant la Seconde Guerre mondiale. Parmi eux, figuraient le père et l’oncle de la réalisatrice.

«Je n’ai jamais l’occasion de parler le français. Mais lorsque je suis ici, ça revient naturellement, confiait Lisa Gossels, devant le modeste château de Chabannes, mercredi 12 juin, en fin de journée. Une façon pour la cinéaste américaine de souligner qu’elle est un peu d’ici.

Pour cause, son père, décédé en 2019, et son oncle, aujourd’hui âgé de 90 ans, ont fait partie des quelque 400 garçons et filles âgés de 2 à 18 ans, qui furent hébergés dans le village de Chabannes, dans l’ancienne commune de Saint-Pierre-de-Fursac, dans l’ouest de la Creuse, entre 1939 et 1943. 

Retour à Chabannes, 25 ans après le tournage du film 

Venus de France, mais aussi d’Allemagne, de Pologne ou d’Autriche, tous furent pris en charge par l’Œuvre de secours aux enfants (OSE), une organisation venant en aide aux jeunes juifs persécutés et arrachés à leurs familles.

Une histoire intime pour Lisa Gossels, mais à la portée universelle. Elle lui consacra le documentaire Les Enfants de Chabannes, tourné en Creuse, avec son compatriote Dean Wetherell, à la fin des années 1990. Un film qui fut salué par la presse à l’époque et qui fut distingué aux États-Unis par les prestigieux Emmy Awards.

Vingt-cinq ans après la sortie du long-métrage, la réalisatrice était donc de retour en Creuse, la semaine dernière. Mais cette fois en compagnie de sa mère, Nancy, 90 ans. Lisa Gossels précise :

L’une de ses meilleures amies lui a dit “Tu es en bonne santé. Pourquoi ne pas aller en Europe ?” Nous avons donc décidé d’aller à Berlin, où est né mon père, et à Paris. Mais il était impensable pour nous de ne pas passer par Chabannes. Nous avons des liens très profonds ici

« C’est très émouvant pour moi d’être là. Ici, des gens ont risqué leur vie pour sauver mon mari et des centaines d’enfants », livre, de son côté Nancy, au pied du manoir édifié à la fin du XIXe siècle. Les bâtiments, qui ont tour à tour accueilli des soldats allemands dans l’immédiat après-guerre, un restaurant avec une salle de bal et des colonies de vacances, sont désormais inoccupés.

Lisa Gossels regarde à l'intérieur du château, désormais inoccupé.

Ils étaient à l'école avec les enfants juifs recueillis dans ce château de Creuse de 1939 à 1943

Une visite en compagnie de témoins de l'époque 

Lors de leur visite, les Gossels n’ont pu pénétrer que dans l’ancien parc du domaine. Ce qui n’a pas empêché les souvenirs de refaire surface.À Chabannes, Lisa, Nancy, et Dean Wetherell, qui était également du voyage, étaient accompagnés de quelques amis limousins.

Parmi eux, figuraient des personnes qui furent scolarisées à l’école publique avec les enfants juifs recueillis par l’OSE. Le petit groupe n’a pu pénétrer que dans l’ancien parc du domaine. Ce qui n’a pas empêché les souvenirs de refaire surface.« Certaines années, nous avions cours au château. Les salles de classes étaient là, au rez-de-chaussée. Les dortoirs se trouvaient à l’étage, mais nous, on n’y allait jamais », indique Robert Charbonnier, qui fête ses 92 ans cette année.

Robert se souvient de ces gosses venus d’ailleurs, « qui ne parlaient pas forcément le français en arrivant, mais qui avaient de grandes facultés d’adaptation. Ça se passait très bien avec eux, c’étaient avant tout des copains », dit-il, en regardant la vaste terrasse où furent prises la plupart des photos de classes à l’époque.

Située à l’arrière du château, celle-ci s’ouvre sur la verdoyante campagne limousine et, au sud, sur les monts d’Ambazac. Un véritable appel à l’évasion.Pourtant, au cœur de la guerre, la liberté, et même la vie des enfants de Chabannes étaient particulièrement menacées. « Nous en avions conscience, se remémore Robert Charbonnier. Les éducateurs leur faisaient faire des activités physiques. Nous savions que c’était pour qu’ils soient en bonne forme pour pouvoir se tirer dans les bois au cas où. » 

Colette Pascal et Robert Charbonnier ont été scolarisés au château durant la Seconde Guerre mondiale.

Deux rafles en 1942

our cause, deux rafles auront lieu en 1942. Six enfants seront déportés.Mais la majorité de celles et ceux qui passèrent par Chabannes a survécu à la guerre. Et ce, grâce au dévouement et au courage des adultes qui s’occupaient d’eux : éducateurs, institutrices…

Tous les témoins de l’époque se remémorent avec gratitude de Félix Chevrier, directeur de la colonie creusoise de l’OSE. Un fervent républicain à qui l’on avait confié, ni des petits juifs, ni des petits français ou des petits allemands. Mais avant tout et simplement des enfants devant être protégés et instruits.

Cette mixité et cette attention à l’autre, Colette Pascal estime, du haut de ses 90 ans, qu’elle fut une richesse pour elle et la façon dont elle a pu mener son existence. Celle qui fut, elle aussi, la camarade des enfants de Chabannes et qui apparaît d’ailleurs, à ce titre, dans le film de Lisa Gossels et de Dean Wetherell, affirme :

Ce fut une ouverture incroyable pour nous, dans nos campagnes. Nous avons pu voir, au contact de ces autres enfants qui venaient surtout de la ville, qu’il existait une autre façon de vivre. Ça nous a fait mûrir. Tout ce que je lis aujourd’hui, je le comprends mieux, je le situe mieux

Cet “esprit de Chabannes”, caractérisé par un solide sens de l’accueil, a su perdurer dans le temps. Et il ne fut sans doute pas étranger à la manière dont a été réalisé le documentaire sorti en 1999 : habitants, élus et anciens écoliers de Saint-Pierre-de-Fursac ont aidé, plusieurs mois durant, les équipes de tournage, sur place. Ce qui créa des liens indéfectibles entre les Américains et les gens du coin.

En témoignait, le 12 juin dernier, l’émotion, non feinte, de Dean Wetherell, en retrouvant Ginette Lelong. Ginette qui, avec son mari André, désormais tous les deux nonagénaires, furent l’un des plus solides relais des réalisateurs sur place. « Ils nous ont guidés, hébergés, Ginette nous faisait à manger. Nous n’aurions jamais pu faire le film sans eux, assure Dean, les larmes aux yeux. Même si l’histoire du château n’est pas la mienne, à l’origine, mais celle de Lisa, elle fait désormais partie de moi. » Lisa Gossels résume :

Ce lieu est associé à la bonté. Dans un contexte où l’extrême droite est de retour, en France, en Europe, aux États-Unis, l’antidote est d’ouvrir nos portes, de parler avec nos voisins. Il se trouve ici.

Texte : François Delotte. Photos : Bruno Barlier