Comment faire disparaître le chahut dans les classes ? Les dix préconisations "immédiates" de Jean-Pierre Bellon
La crise de l’autorité à l’école, Jean-Pierre Bellon la voit s’installer depuis une quarantaine d’années. Ce professeur de philosophie est l’un des pionniers de la lutte contre le harcèlement scolaire en France. Aujourd’hui, il dénonce un autre fléau, conséquence lui aussi d’une défaillance de l’autorité : le chahut en classe.
Vous affirmez qu’il faut « rétablir la paix dans les classes ». Pourquoi est-ce une urgence ? D’après l’enquête Pisa 2022, un lycéen sur deux considère qu’il ne peut pas étudier en paix au motif qu’il y a trop de bruit dans sa classe. L’enquête Pisa 2018 disait la même chose et ça n’avait ému personne, ni les parents, ni les syndicats, ni les décideurs. C’est pourtant une injustice inouïe. Imaginez une scolarité dans laquelle, pendant des années, on n’a pas pu écouter ce que disait le professeur?! Je n’ai pas de solution contre les inégalités sociales, mais cette inégalité-là, on peut essayer de la réduire.
Pourquoi un tel silence?? Le chahut en classe, c’est un tabou?! Le mot même est à peine prononcé, alors que les enseignants en sont les principales victimes. Dans le lycée où j’enseignais, je voyais bien que mes collègues souffraient quand ils avaient des classes difficiles. Mais ils avaient tendance à minimiser les choses en conseil de classe, ils avaient honte d’en parler. J’établis un parallèle entre le harcèlement et le chahut, ce sont deux violences scolaires, deux violences qui ne doivent rien à l’extérieur, au milieu social, au contexte économique. Elles naissent à l’école, du fait de l’école. Mais cette idée-là, le système français ne veut pas en entendre parler.
Comment définir l’autorité?? L’autorité, à l’école, c’est la parole ferme de l’adulte, qui peut être extrêmement courtoise, mais qui n’est pas négociable. C’est savoir dire « Non ». La caractéristique de l’autorité, c’est qu’elle est sans appel. Quand un professeur veut signifier quelque chose à un élève, qu’il range son portable par exemple, s’il emploie la force ou la menace, l’élève répondra « non », pas à la demande, mais à l’injonction trop ferme. Si l’enseignant tente de négocier, ça sera pareil. Il faut partir du principe qu’il y a du non négociable à l’école, alors qu’on nous dit le contraire depuis 40 ans.
A quoi attribuer cette crise de l’autorité?? Je renonce à chercher une cause. Je vois plutôt une série de petites démissions, dont nous avons tous été complices, professeurs, élèves, parents. S’il y a un moment qui a tout fait basculer, c’est quand on a rendu tout négociable à l’école. Alors que ni le contenu des enseignements, ni la paix ne sont négociables. Attention, je n’idéalise pas l’école d’avant?! Une école dans laquelle les élèves devaient se prémunir autant de la violence de leurs camarades que de la violence des maîtres. On n’a pas besoin de faire revenir le surveillant général?!
Vous proposez dix mesures pour "renouer avec l'autorité". Où est la priorité?? Il faut inciter les enseignants à signaler systématiquement tout ce qui ne doit pas se faire à l’école, qu’il s’agisse des actes, des attitudes, des tenues ou des propos. Il n’y a pas de place à l’école pour les propos injurieux et grossiers. On n’y parle pas comme on parle sur les réseaux sociaux. On ne parle pas comme ça, personne ne laisse ses enfants parler comme ça. Derrière tout ça, il y a un mépris social. Il faut imposer un certain type de comportement et c’est bien plus important que l’uniforme.
Jean-Pierre Bellon, professeur de philosophie, est le co-fondateur du centre ReSIS, association spécialisée dans la lutte contre le harcèlement scolaire.
Le système des sanctions est-il adapté à cette "tolérance zéro"?? Absolument pas. Ce système est absurde, il faut le réformer totalement. C’est d’ailleurs la deuxième priorité. Aujourd’hui, il existe un pouvoir de justice discrétionnaire, qui autorise un professeur à distribuer deux heures, trois heures de colle. De l’autre côté, il y a un système de sanction qui dépend du chef d’établissement. Selon que l’enseignant la signale ou pas, une même faute sera punie directement par l’enseignant ici et sanctionnée par le chef d’établissement ailleurs. Comment voulez-vous que les élèves s’y retrouvent??
Il faut définir la liste des infractions scolaires, les signaler systématiquement et confier à une instance spécifique au sein de l’établissement le pouvoir de sanction. Pas pour punir davantage, mais pour punir plus efficacement et de façon plus juste.
Que manque-t-il pour résoudre la crise?? Un volontarisme politique?! On prend l’absentéisme à bras-le-corps, on réforme le système des sanctions, on supprime le système de mutation national qui déplace les enseignants comme des pions, on arrête de les traiter comme des élèves et on les laisse s’engager davantage dans la gestion de l’établissement… Sur la question des moyens, s’il y a quelque chose à augmenter, à la fois en effectifs et en rémunération, ce sont les surveillants. Pour le reste, on peut organiser autrement les moyens existants.
Retrouvez-vous cette volonté politique dans le « sursaut d’autorité » souhaité par le gouvernement?? Je n’ai rien vu de bien révolutionnaire dans les annonces de Gabriel Attal. Des enquêtes internationales ont montré que le port de l’uniforme n’avait aucune incidence sur le climat scolaire. Quant au conseil de discipline dans le premier degré, j’espère qu’il ne s’agit pas de dupliquer cette espèce de machin absurde qui existe au collège et au lycée.
Une raison d’être optimiste?? Ce qui me rend optimiste, c’est qu’on n’est pas loin de la catastrophe. On ne résoudra pas la crise du recrutement si on ne brise pas cette solitude dans laquelle les enseignants sont enfermés. Les choses vont changer, c’est inévitable, sinon le système va s’effondrer.
(*) Pisa est une enquête pour le suivi des acquis des élèves, menée tous les trois ans par l’OCDE auprès de jeunes de 15 ans. A lire : Renouer avec l’autorité à l’école. Dix mesures immédiates, éditions ESF Sciences humaines, 112 pages, 14,90 €.
5. Traiter toutes les situations de harcèlement.
6. Traiter toutes les situations de chahut.
7. Renforcer la surveillance des espaces scolaires.
8. Mettre les écrans à distance.
9. Exiger une tenue correcte.
10. Faciliter les rapports avec les parents d'élèves.
Isabelle Vachias