C’est pas Versailles, ici!
L’enthousiasme général soulevé par les bonnes nouvelles d’investissements massifs dans l’hexagone, dans le cadre du sommet « Choose France », doit être relativisé. Voici pourquoi.
Les portes du château de Versailles viennent de se refermer, clôturant le sommet Choose France dont la 7ème édition se tenait le 13 mai. Pour rappel, cet événement, qui rassemble chaque année grands patrons d’entreprises internationales et membres du gouvernement français, a été mis en place en 2018 par Emmanuel Macron pour soutenir la croissance, l’innovation et l’emploi en attirant des investissements étrangers sur le sol français.
Macron brade-t-il le pays aux grands groupes étrangers ?
Si cette année le thème annoncé lors du communiqué officiel du chef de l’État : « France, terre de champions »[1] peut prêter à sourire, le bilan de la cuvée 2024 semble être à la hauteur de l’annonce et battre tous les records : plus de 15 milliards d’euros d’investissements prévus, 180 patrons présents, 56 projets et 10 000 créations d’emplois en perspective sur le sol français. Au premier regard, nulle ombre au tableau. La logique de réindustrialisation de la France porterait-elle enfin ses fruits ? Dans son tweet du 13 mai sur le réseau social X, le président de la République se gargarise de cette liste de chiffres, gage de la réussite du projet.
On pourrait jouer les trouble-fêtes en avançant que cette stratégie qui vise à séduire des entreprises étrangères pour les inciter à implanter ou développer des sites de production a longtemps été l’apanage des pays sous-développés ou en voie de développement. Il ne nous resterait alors plus qu’à nous tourner, avec regrets, vers une époque révolue de prospérité économique où la France ne consommait pas plus que ce qu’elle produisait et n’avait pas besoin de brader son sol et sa main-d’œuvre afin d’être attractive pour les entreprises.
Car, oui, ne nous méprenons pas : si le savoir-faire français, du moins ce qu’il en reste, est probablement mis en avant avec emphase et fierté lors de tels événements, il ne pèse probablement pas lourd dans la balance au regard des avantages fiscaux, crédits ou baisses d’impôts promis par le gouvernement à ces grands groupes étrangers. Qui sont-ils justement ?
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Parmi eux, Microsoft, Pfizer, Amazon ou encore FertigHy, spécialiste de la fabrication d’engrais azoté. À la lecture de leurs noms, les applaudissements se font plus discrets. Quels seront les impacts environnementaux de l’implantation de ces gigantesques data centers, entrepôts ou usines d’engrais ? Parmi les avantages promis par le gouvernement, se trouve justement une clause visant à accélérer et faciliter l’implantation de ces sites en passant outre certaines démarches et autorisations sous couvert de « simplification administrative ». Quant aux emplois promis, que valent-ils vraiment ? En 2018, le député et ancien secrétaire d’État au numérique Mounir Mahjoubi alertait déjà sur le fait que pour chaque emploi créé en France, Amazon était responsable de la destruction de deux autres. Peu de chances que ce ne soit plus le cas en 2024, d’autant que l’entreprise affiche toujours un turn-over important au niveau de ses ressources humaines[2].
Nous voilà donc à faire des courbettes devant Microsoft et des ponts d’or à Amazon tandis que des entreprises françaises peinent à se développer sur leur propre sol, à l’instar de l’entreprise Bridor, leader de la fabrication industrielle de produits boulangers à destination des professionnels, qui s’est résignée en 2022 à construire sa nouvelle usine au Portugal après avoir tenté pendant plus de cinq ans de l’implanter en Bretagne. Déjà à l’époque, le président du groupe déplorait les difficultés rencontrées : « Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre 10 ans, voire certainement davantage, pour que notre projet industriel aboutisse ! […] lorsque nos concurrents à l’étranger mettent un à deux ans maximum pour obtenir les mêmes autorisations de construction. »[3]
Paroles, paroles…
Ajoutons à cela que ces chiffres ne sont que des promesses. Certaines ne seront pas honorées ou pas complètement. À l’édition 2018, par exemple, le groupe américain Del Monte avait annoncé l’ouverture d’une usine de découpe de fruits dans la Somme, mais le projet a depuis été abandonné.
Finalement, nous ne devrions considérer le sommet Choose France que pour ce qu’il est vraiment : une belle campagne de communication, domaine dans lequel le gouvernement actuel semble toujours exceller. « Marquez les esprits »[4] est le mot d’ordre et le cache-misère d’un pays en réalité désindustrialisé. Prenons l’exemple de l’industrie textile qui a quasiment disparue du sol français et cela de manière irrémédiable. En effet, même si l’envie venait à une entreprise, étrangère ou non, d’installer son usine de production textile en France, celle-ci se retrouverait vite confrontée à de gros problèmes de recrutement puisqu’il n’existe presque plus de main d’œuvre qualifiée. Dans ce domaine comme pour tant d’autres, le savoir-faire est perdu.
Sans surprise également, les grands oubliés de Choose France sont pourtant ceux qui représentent le premier employeur et le principal tissu économique français : les TPE, PME, parfois même sous-traitants de ces grandes multinationales. Dans un communiqué, Sophie de Menthon, présidente du mouvement ETHIC (Entreprises de Taille Humaine, Indépendantes et de Croissance), le rappelle à juste titre : « Bravo à nos grandes entreprises, bonne chance à Choose France et n’oublions pas que sans les TPE/PME, les ETI et leurs sous-traitants, elles ne seraient rien ! ».[5] Lumière est rarement faite sur l’importance considérable de ces entreprises de tailles plus modestes pour le tissu économique français, le maintien et la création d’emplois. Pour elles, la sentence est tombée : c’est pas Versailles !
[1] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-economique-et-commerce-exterieur/actualites-liees-a-la-diplomatie-economique-et-au-commerce-exterieur/2024/article/choose-france-2024-la-france-consolide-son-attractivite
[2] Rapport du cabinet indépendant Progexa élaboré en 2023 sur les pratiques sociales dans les entrepôts d’Amazon
[3] https://www.bretagne-economique.com/actualites/en-bretagne-bridor-met-fin-son-projet-de-site-industriel/
[4] https://www.choosefrance.fr/fr/
[5] https://www.entreprendre.fr/les-pme-tpe-eti-choisissent-la-france-dans-lindifference-generale/
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