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Май
2024

L’imbroglio espagnol

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Les récentes élections en Catalogne et au Pays basque compliquent encore la vie politique espagnole. Si les partis indépendantistes qui dirigeaient la Catalogne depuis une décennie ont perdu dimanche 12 mai leur majorité au Parlement régional, le socialiste Pedro Sanchez est loin d’être tiré d’affaire. La possible amnistie des indépendantistes catalans fracture son pays. 


Comme il se le devait, le chef socialiste du gouvernement espagnol Pedro Sanchez s’est bien sûr félicité du succès de son parti à l’élection du parlement catalan du 10 mai… mais sans plus. Visiblement bien conscient que cette victoire n’était en réalité qu’un trompe-l’œil. Elle a en effet engendré un imbroglio politique plus complexe à résoudre que la quadrature du cercle.

Certes, avec ses 28% des voix, soit un gain de 5 points par rapport à la précédente consultation de 2021, le Parti socialiste catalan (PSC), simple filiale du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), peut se targuer d’être le premier parti de la province autonome. Il est passé de 33 à 42 élus, loin cependant des 68 sièges que requiert la majorité absolue. Dès lors pour gouverner, il lui faut s’allier. Avec qui ? C’est là que l’affaire vire au casse-tête.

Avec la droite ? Hors de question par principe et aussi parce que le Parti populaire (PP) et Vox – comme dans la Communauté basque autonome – ne sont qu’une force marginale, même si le premier a fait un bond de 4% à 11%, engrangeant les voix de l’éphémère parti Ciudadanos (une sorte de macronisme local) – sous l’étiquette duquel Manuel Valls avait été candidat à la mairie de Barcelone –  et multiplié par cinq sa représentation qui est passée de trois à 15 élus… dans une chambre de 135 sièges. Quant à Vox, il reste stable frôlant les 8% et conservant ses 11 sièges. La droite espagnoliste totalise seulement 26 sièges.

Et revoilà… Carles Puigdemont

Donc, ne reste aux socialistes catalans qu’une issue, un accord avec les nationalistes. Celui-ci ne peut être envisageable qu’au prix d’un renoncement majeur, à savoir la reconnaissance du principe du droit à l’autodétermination. Et c’est là que la victoire socialiste prend la tournure d’une victoire à la Pyrrhus. Bien qu’ayant encaissé un fort tassement, chutant de 21 à 14 % et perdant 13 élus pour n’en conserver que 20, l’ERC (Gauche républicaine catalane) qui était à la tête de l’exécutif jusqu’à ce scrutin qu’il a provoqué en dissolvant le parlement suite au rejet de son budget, en a fait un préalable à toute discussion. Or les deux partis sont très proches sur le plan économique et social. 

L’autre parti nationaliste, beaucoup plus radical sur la question de l’indépendance, et classé au centre-droit, très lié au patronat local, Junts per la Catalunya (Ensemble pour la Catalogne), ne s’est pas prononcé à ce sujet. Mais il ne fait aucun doute qu’il en fait aussi une condition, ou ce serait se renier. C’est lui, sous la houlette de son chef de file alors qu’il était président de l’exécutif catalan, Carles Puigdemont, qui avait organisé le référendum d’autodétermination de 2017, déclaré illégal par la pouvoir central.

Accusé, entre autres, de sédition, Puigdemont s’était exilé en Belgique pour échapper à une incarcération. À nouveau candidat à la tête de Junts, il a été réélu bien que n’étant pas rentré en Catalogne. Il est toujours l’objet de poursuites judiciaires. Il a dirigé la campagne électorale depuis Argelès-sur-Mer (06), Catalogne française, à un jet de pierre de la frontière espagnole.

À la différence de l’ERC, les urnes ont été favorables à son parti.  Arrivé second avec 22%, un gain de deux points, engrangeant 35 sièges, soit trois de plus, Junts s’est imposé comme la première force nationaliste. Il devance l’ERC de 8% et n’est qu’à 6% derrière le parti socialiste. 

Dès lors, si ce dernier est disposé à payer le prix fort de la reconnaissance du droit à l’autodétermination, une alliance ne pourra pas tenir à l’écart Junts. D’autant que ce parti dispose aux Cortès d’un puissant pouvoir de nuisance. S’il lâche le gouvernement de Pedro Sanchez, il provoque inexorablement des législatives anticipées… à un moment où justement le PP a le vent en poupe dans le reste de l’État espagnol, avec cependant une maigre probabilité d’obtenir une majorité absolue, même avec le soutien de Vox. D’après les sondages pour les européennes, il recueillerait entre 35 et 39% des suffrages, soit une avance de 8 à 10% sur le PSOE. Or, les faiseurs de majorité à Madrid sont les partis nationalistes catalans et basques.

Le recours à cette épée de Damoclès, Puigdemont l’a écartée mais sans totalement y renoncer. Il a proposé en contrepartie une alliance tripartite, socialistes-ERC-Junts. Y ajoutant une condition non négociable : celle d’être reconduit à la présidence de la Catalogne. Ce qui équivaudrait à une réhabilitation, et, pour lui, à une revanche personnelle qui mettrait la justice espagnole dans un sérieux embarras si celle-ci persiste, comme elle en a l’intention, à maintenir ses poursuites au cas où la loi d’amnistie qui doit être prochainement adoptée serait invalidée par la Cour constitutionnelle.  Probabilité qui n’est pas à exclure d’après bien des juristes. Comme si à l’imbroglio politique, il fallait ajouter un zeste de bordel juridique. On imagine mal  Puigdemont, président de la Catalogne, arrêté et menotté chez lui à l’heure du laitier… Le cas échéant, on serait curieux de savoir ce que dirait la Commission européenne !

D’après le quotidien de droite, très au parfum des coulisses politiques madrilènes, La Razón, Pedro Sanchez, un madré politicien pour qui forcément cynisme et pragmatisme ne font qu’un, un peu à la Mitterrand, inclinerait pour cette « Triple alliance », dans une logique d’un prêté pour un rendu. Il doit à Puigdemont, et à l’initiative en coulisse, dit-on, du Parti nationaliste basque (PNV) d’être le président du gouvernement espagnol (l’équivalent en France à la fois de Premier ministre et en partie de chef de l’État). Aux législatives de 2023, le PSOE s’était classé second. Arrivé premier, le PP n’avait pas trouvé d’alliés pour former le gouvernement. En revanche, Pedro Sanchez, lui, les avait trouvés auprès des Catalans et des Basques, et surtout s’était rallié Puigdemont qui, hier comme aujourd’hui, se retrouve, avec la complicité des urnes, être le maître de jeu d’un poker que d’aucuns peuvent qualifier de menteur.

Les indépendantistes basques pas en reste…

La donne a aussi bougé en Euskadi (Communauté basque autonome) suite à une initiative de Bildu (Ensemble), le parti de gauche nationaliste héritier de la branche politique de l’ETA, qui en recueillant 32,5% des voix, a fait presque jeu égal, pour la première fois depuis la fin de la dictature franquiste, avec le PNV, classé centre-droit, le 21 avril au scrutin pour le renouvellement du parlement de la Communauté autonome. Il a très opportunément remis sur la table le projet d’un nouveau statut d’autonomie, proposition à laquelle le PNV n’est pas resté insensible et s’est dit disposé à en discuter, sans quoi il se renierait.

Ce statut propose principalement la reconnaissance de la nationalité basque, l’établissement d’une relation de type confédéral entre l’exécutif espagnol et basque, et non plus de subordination du second au premier, et, surtout, la mise entre parenthèse de la constitution espagnole en Euskadi où, lors du référendum en 1978 pour son adoption, le non l’avait largement emporté.

Ces élections au parlement basque ont consacré l’hégémonie des deux partis nationalistes. Ils totalisent 68% des suffrages et 72% des sièges de ce dernier qui en compte 75. À l’issue de celles-ci, le PVN et le parti socialiste d’Euskadi (PSE), également une succursale du PSOE, avaient entamé des négociations pour reconduire leur alliance au pouvoir depuis deux mandats soit une décennie.

À la proposition de ce nouveau statut flirtant avec la notion d’indépendance, auquel les socialistes sont réfractaires, Bildu ajoute l’offre d’une alliance tripartite entre PSE et les deux formations nationalistes. Un nouveau nœud gordien pour Sanchez : s’il accepte ces deux « Triple alliance », la catalane et la basque, il entr’ouvre la porte à une recomposition institutionnelle de l’Espagne qui risque de déboucher, à terme, sur la sécession de la Catalogne et de l’Euskadi. S’il refuse, ses jours à la tête du gouvernement pourraient être comptés… 

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