Quel bilan de santé pour les Ehpad de l'Allier ?
Désormais, plus personne ne peut l’ignorer. Beaucoup d’Ehpad sont mal en point en France. Suite à ce constat national sur les grandes difficultés sanitaires et financières de ces établissements, le conseil départemental de l’Allier a mené une mission d’information et d’évaluation consacrée à ceux du Bourbonnais. Les conseillères départementales Marie-Françoise Lacarin et Evelyne Voitellier ont piloté conjointement ce travail qui s’est poursuivi sur une durée de six mois, du 1?? juillet au 31 décembre 2023. La méthodologie?? Trois trinômes composés d’élus de la majorité et de l’opposition ont visité quinze des quarante-quatre Ehpad bourbonnais – qu’ils soient publics, privés et associatifs – et les quatre unités de soins de longue durée (USLD) du département.
Quels sont les points saillants de l’enquête?? Evelyne Voitellier avance avec prudence et avec nuance dans sa réponse : "Nous avons vu quinze Ehpad, c’est-à-dire un échantillon. Un échantillon qui, de plus, offre un éventail de prises en charge différentes et de qualités variées. Alors je tiens à dire qu’il ne faut pas généraliser les constats qui ont été faits". Cependant, cette mission a permis de dégager des grandes lignes directrices : "Les résidents sont de plus en plus âgés, ils arrivent de plus en plus tard et en dernier recours en Ehpad, retrace-t-elle. À ce titre, au moment de leur entrée, ils sont aussi de plus en plus dépendants, avec des pathologies importantes. Mais le personnel, lui, n’a pas augmenté sur les trois ans et il est probablement sous-dimensionné par rapport à ce niveau de dépendance".
Revoir les moyens attribués aux EhpadEn raison de la lourdeur des dépendances des résidents, la mission du conseil départemental a constaté que le personnel était très axé sur le soin : "Et cette orientation change énormément la physionomie des Ehpad. Aujourd’hui, on est davantage sur de la prise en charge de la dépendance que sur de l’accueil et de l’animation qui sont devenus des parents pauvres. Si vous avez un faible taux de dépendance, il est plutôt conseillé de ne pas aller en Ehpad, car il va être compliqué pour le personnel de vous accorder du temps". Marie-Françoise Lacarin affiche une certitude : "Face au niveau de dépendance, il est nécessaire de revisiter les moyens qui sont attribués aux Ehpad, à la fois sur la question du soin, de l’accompagnement en soins palliatifs… Pour autant, il ne faut pas faire des Ehpad que des lieux d’hospitalisation. On est sur une ligne de crête subtile sur laquelle il est important de réfléchir : que veut-on véritablement, demain, pour nos Ehpad??".
Comment les personnels soignants vivent-ils leurs conditions de travail??
Les deux conseillères départementales parlent clairement d’un état d’épuisement chez les personnels soignants : "Ils sont à bout de souffle face à une demande des résidents, mais aussi de leurs familles, de plus en plus importante". Exténués, démoralisés ou démotivés, beaucoup se sont désengagés par le biais de l’absentéisme : "Il est très important. Et, facteur aggravant, il y a des postes qui ne peuvent pas être remplacés à cause de la désaffection pour les métiers de l’accompagnement. Tout ce contexte fait que nous avons trouvé des Ehpad un peu sous tension. En revanche, les personnels en poste nous ont semblé très mobilisés, très à l’écoute des résidents et motivés pour faire le maximum de ce qu’ils peuvent faire".
Des personnels qui, à propos des soins, ont alerté les enquêteurs sur un point qu’ils jugent essentiel : "Face à la diversité des résidents et de leurs pathologies, ils accentuent leurs demandes sur la formation. Notamment en ce qui concerne la psychiatrie puisque 35 % des personnes accueillies en Ehpad relèvent de ce domaine. Les agents expriment également des demandes en formation sur l’accompagnement à la fin de vie". Les familles réclament d’ailleurs, elles aussi, "une meilleure formation" des personnels : "Car elles se rendent compte que les agents ne connaissent pas forcément tout et qu’ils ne sont pas très à l’aise ou en retrait sur des questions liées à la fin de vie. Cela peut créer des fossés dans la communication".
Pénuries de main-d'œuvreQuel reproche revient le plus souvent de la part des familles?? "Elles ont l’impression qu’elles peuvent émettre des souhaits ou des remarques, mais qu’il y a un temps de latence ou un flou sur les réponses apportées."
Une désaffection pour les métiers de l’accompagnement??
C’est un constat national qui impacte aussi l’Allier. Les métiers de l’accompagnement n’attirent plus et les Ehpad, notamment dans le département, font partie des structures qui peinent à recruter malgré les revalorisations salariales issues du Ségur de la santé : "Sur les salaires, on est en train de rattraper en France un retard qui s’était installé depuis un certain nombre d’années, commente Marie-Françoise Lacarin. Ceci étant, les conditions de travail et l’organisation sont aussi des éléments qui ont été un peu oubliés et sur lesquels il faudrait réfléchir". Evelyne Voitellier, elle, renvoie également cette pénurie de main-d’œuvre à un problème de mentalité dans notre société : "Il n’y a pas qu’un problème d’organisation. On est face à un problème de vocation. On a l’impression que la vocation de s’occuper de l’humain a un peu disparu. Mais, c’est vrai, quand cette vocation existe, les personnels n’ont malheureusement pas les moyens et le temps de l’exprimer, car ils sont pris dans une aspiration de rendement ".
La mission a-t-elle constaté des cas de maltraitance??
Affirmation catégorique des deux conseillères départementales : "Non, pas du tout?!" Evelyne Voitellier complète la réponse : "De plus, nous avons bien observé que toute la filière des déclarations graves était en place au niveau du Département et de l’Agence régionale de santé. Ce qui veut dire que si une famille se rend compte ou a un pressentiment par rapport à une maltraitance, il y a les cellules pour l’écouter et lui répondre".
Mais Evelyne Voitellier et Marie-Françoise Lacarin en conviennent : pas mal de familles, sans aller jusqu’à parler de maltraitance, considèrent que des prises en charge ne se déroulent pas aussi bien qu’elles devraient se dérouler. Une réalité dans l’Allier qui recoupe le même constat établi partout ailleurs en France.
Le rapport du conseil départemental sur les Ehpad de l’Allier est disponible sur https://delib.allier.fr