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Май
2024

[Cannes 2024] Quand réalité et fantômes se croisent en ouverture du Festival

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On a dit hier à quel point Le Deuxième Acte de Dupieux constituait une ouverture opportune, distillant sous l’hilarité le malaise, réinscrivant à l’écran tous les motifs de crise agitant les esprits des festivalier·ères (agressions sexuelles, ostracisation des travailleur·ses précaires, montée en puissance et en pouvoir des IA…). “La réalité, c’est la réalité“, dit comme un mantra Léa Seydoux sur l’écran de l’amphithéâtre Lumière, tandis que le seul personnage fragile socialement du film chemine vers un sort funeste. Dans le même temps, des manifestant·es du collectif Sous les écrans la dèche parvenaient à infiltrer l’armada du Palais pour dérouler une banderole à leur nom. Un contrechamp percutant de réalité.
Sous les écrans, pas seulement la dèche mais les violences sexuelles.

La section Un Certain Regard inaugure sa sélection en présentant en avant-programme de son premier long métrage un film de 10 minutes de Judith GodrècheMoi aussi, dans lequel l’actrice-réalisatrice réunit un millier de personnes ayant témoigné des abus qu’ils et elles ont subis et qui ont accepté de constituer à l’écran un peuple résilient occupant l’espace public. Dans l’entretien ci-contre, Judith Godrèche évoque par des souvenirs personnels cette doublure cauchemardesque que peut revêtir Cannes. Elle nous explique aussi comment, face à la violence brute de la réalité, elle a choisi de déjouer la littéralité de la mise en scène des témoignages et opté pour une stylisation qui élabore “un langage singulier, proche de celui de l’enfance.”

L’art de la nuance

Judith Godrèche occupait le centre du premier long de Sophie Fillières, Grande Petite (1994), rêverie éveillée et belle déambulation funambule. C’est l’ultime film de la réalisatrice (décédée à l’issue de son tournage) qu’a choisi en ouverture la Quinzaine des cinéastes. Ses enfants, Agathe et Adam Bonitzer, et son interprète principale, Agnès Jaoui, merveilleuse de bout en bout, nous racontent comment Ma vie ma gueule s’est conçu et transmis. Le film est superbe. Il pousse à son acmé l’art de la nuance et de la variation de son autrice, et parvient à raconter de façon aérienne, décantée, poétique et presque enjouée l’histoire d’une évaporation, le retrait patient et organisé du monde. Film forcément hanté, Ma vie ma gueule l’est avec une incomparable douceur.