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Май
2024

Lucien Rongier, ce Résistant du Puy-en-Velay tombé dans l’oubli

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Toute personne qui souhaite avoir une vue d’ensemble sur ce que représenta la Résistance en Haute-Loire durant la première moitié des années 40 bénéficie, notamment, de l’aide précieuse que lui offre le fonds GR 19 P du Service historique de la Défense ; un fonds qui rassemble l’ensemble des dossiers d’homologation qui permirent de déterminer, département par département, l’appartenance de groupements militaires de la Résistance aux Forces françaises de l’intérieur (FFI) après la Libération.Lucien Rongier en tenue de capitaine FFI

Dans l’armée de l’ombre

Or, parmi les dossiers existants pour le département de la Haute-Loire, figure notamment le dossier d’un certain « groupe ALLAIN (sic) » affilié aux Mouvements unis de Résistance (MUR), et qui contient une liste d’une cinquantaine de Résistants dont la grande majorité fut homologuée membres des FFI entre le 1er juin et le 22 août 1944.

Pour connaître l’identité du chef de ce groupe, on peut notamment se référer à deux courriers qui furent envoyés successivement en 1952 et 1953 à un certain « Monsieur Rongier » qui était alors domicilié au 17 boulevard Carnot au Puy.Derrière ce nom sa cache en réalité l’identité du Résistant Lucien Rongier, né le 13 septembre 1916 à Grigny (Rhône). Après l’obtention d’un brevet supérieur d’enseignement technique et industriel et la préparation à l’école d’ingénieur des arts et métiers, le jeune Lucien devient employé à la SNCF en qualité de dessinateur. Marié au Puy avec Suzanne Rampon, le 4 juillet 1938, avec laquelle il aura un fils l’année suivante, il travaille alors aux bureaux du service de la voie et des bâtiments en gare de Clermont-Ferrand.

Rappelé à l’activité au mois de septembre 1939, c’est en qualité de maréchal des Logis radiotéléphoniste qu’il participe à la Drôle de Guerre, puis à la Bataille de France au sein du 55e Groupe de reconnaissance divisionnaire d’infanterie du 2 septembre 1939 au 19 juillet 1940 avant d’être démobilisé.

Ayant repris son ancien poste à la SNCF, à compter du 1er octobre 1940 il est muté à la section de la gare du Puy. C’est à ce nouveau poste qu’il se décide à rejoindre les rangs de l’armée des ombres au début de l’année 1942 sous les pseudonymes successifs de « Xavier », puis d’« Alain ». À cette date, il devient ainsi membre d’une trentaine du mouvement « Libération » constituée par le résistant Roger Ramey (1), avant d’intégrer les MUR à partir de leur constitution au printemps 1943, d’abord en qualité de chef de sizaine sous les ordres de Paul Monchalin alias « Bernard » (le chef départemental du service des liaisons), puis de chef de trentaine à la SNCF, et enfin, de chef de la Résistance-fer en gare du Puy.

Une affaire de famille

En cette qualité, il distribue notamment des tracts clandestins ; transporte des armes et fournit du matériel de sabotage pour les voies ferrées. En parallèle, à compter de l’instauration du STO au printemps 1943, il achemine de nombreux réfractaires dans les maquis, principalement des jeunes de la classe de 1942 de la ville du Puy. Or, pour l’aider dans ses agissements, il peut compter sur l’aide précieuse de plusieurs personnes de son entourage, ce qui témoigne bel et bien que, dans la famille Rongier, la Résistance est une affaire de famille.

Tout d’abord, celle de son père Régis, ancien employé de la SNCF comme lui, et qui est alors domicilié boulevard Bertrand de Doue, une position qui lui permet de surveiller facilement les faits et gestes au niveau de la gare.Prise d'armes du groupe Alain à Allègre après la guerre. Archives municipales

Ensuite, celle de ses trois sœurs cadettes : Marie-Louise dite Maryse (l’épouse du résistant Henri Chanès alias « Christian », membre du groupe Faurie [secteur d’Yssingeaux], puis du corps francs du Puy, et enfin du groupe Alain, successivement entre août 1943 et août 1944) qui distribue des journaux clandestins, puis sert d’agent de liaison à son frère ainsi qu’aux plus hauts responsables de la Résistance départementale à partir de l’année 1943 et jusqu’à la Libération, date à laquelle elle continue d’ailleurs de travailler au standard téléphonique de l’état-major des FFI de Haute-Loire (2) ; Huguette (la future épouse du résistant Ernest Sigaud alias « Nestouille », membre du groupe Lafayette avec son frère aîné Paul durant l’été 1944) et Yvette (la future épouse du résistant Louis Biscarat alias « Biscot », membre du groupe Lafayette et du groupe Alain également) qui servent elles aussi d’agents de liaison à leur frère et à l’état-major de la Résistance en général.

Enfin, celle de son cousin, Alphonse Rongier alias « Ronce », sous-officier de gendarmerie à Saint-Paulien qui travaille pour le service de renseignement du mouvement Combat dès 1942, avant d’être obligé de prendre le maquis à la fin de l’été 1943, ce qui lui vaudra notamment d’être homologué FFI, mais surtout d’être reconnu combattant volontaire de la Résistance après la guerre.

C’est ainsi que, grâce à son poste de premier plan à la SNCF, Lucien Rongier est en mesure de donner de précieux renseignements sur les convois allemands ou de GMR, ainsi que des informations pratiques sur les plans de lignes téléphoniques/télégraphiques ; les plans d’ouvrages d’art, de bâtiments et d’installations SNCF dans la perspective de futurs sabotages.

En première ligne sur les actions majeures menées par la Résistance dans le bassin du Puy, il n’est donc pas surprenant de voir son nom apparaître avec d’autres agents de la SNCF, dans la liste des participants à l’enlèvement de la statue de Lafayette dans la nuit du 22 au 23 décembre 1943 aux côtés des membres du futur « groupe Lafayette » - groupe dont il sera d’ailleurs membre dans un premier temps (3).

Il crée son propre maquis

Nommé chef « Action » pour l’arrondissement du Puy à compter du 11 février 1944, il organise alors la mise sur pied de plusieurs maquis. Mais sur le point d’être arrêté, le 14 juillet de la même année, il est obligé de fuir et décide alors de créer son propre maquis qui portera son nom : le « groupe Alain » qui sera stationné dans les environs d’Allègre. Promu par ailleurs en qualité de commissaire politique de la Zone militaire n°8, de la mi-juillet à la fin du mois d’août 1944, « Alain » et ses hommes prennent part à plusieurs combats contre les Allemands en vue de la libération du département, notamment lors de la retraite des troupes allemandes du Puy à Estivareilles (du 18 au 22 août), où il fait sauter le pont du Bourbouilloux (commune de Saint-Paulien) tout en assurant des liaisons constantes avec l’état-major départemental des FFI.

Du fait de cette place de premier plan, c’est tout logiquement qu’après la Libération, le capitaine « Alain » intègre le tout nouvel état-major (composé de 25 anciens résistants ayant appartenu, soit aux MUR, soit aux FTP) de la subdivision militaire du Puy commandé par l’ancien chef départemental des MUR et chef départemental des FFI, le Lieutenant-colonel Zapalski alias « Gévolde » ; état-major qui prit ses quartiers dans les locaux de l’ex-Kommandantur, à la Maison Fontanille, en face de l’Hôtel Régina.

Ayant cessé ses fonctions à la fin du mois d’octobre suivant, Lucien Rongier épouse alors en secondes noces une ancienne Résistance originaire de Céaux-d’Allègre qui lui avait notamment servi d’agent de liaison pendant la guerre, Andréa, Yvonne Moury, le 20 avril 1946, avec laquelle il donnera naissance à une nouvelle enfant.

Devenu gérant d’alimentation dans les années 50, Lucien Rongier décède prématurément à l’âge de 62 ans le 28 septembre 1978 et est inhumé au cimetière du Puy. Dans l’une des nécrologies parues à l’époque, on pouvait notamment lire que le défunt s’était occupé de nombreuses sociétés locales, en particulier l’USV, mais également la Librairie laïque.Henri Chanès et Maryse Rongier dans les années 1940. Archives privées Emilie Jeambrun

Titulaire de nombreuses décorations pour son action durant l’Occupation (Médaille militaire ; Croix de guerre 39-45 avec palme ; médaille de la Résistance avec rosette (4) ; Croix du combattant volontaire de la Résistance), le capitaine « Alain » fut l’une des figures de premier plan de la Résistance vellave et en cette première année du 80e anniversaire de la Libération, il était important que son nom puisse être évoqué aux côtés de noms davantage connus dans la mémoire commune.

(1) Qui mourra par la suite en déportation à Güsen (Autriche) le 17 février 1945 après avoir été arrêté en Côte-d’Or, le 9 mars 1944 ; un département où il exerçait de nouvelles fonctions pour le compte de la Résistance depuis le mois d’octobre précédent.

(2) Autant d’agissements qui lui vaudront notamment de se voir décerner la carte de combattante volontaire de la Résistance, ainsi que la carte de combattante « 39-45 » au titre de la Résistance des décennies plus tard.

(3) Sachant que dans la liste des participants à cette opération devenue légendaire, figure également son beau-frère Henri Chanès.

(4) Une décoration prestigieuse (puisqu’elle constitue le grade supérieur de la médaille de la Résistance) dont sont seulement titulaires 4.548 personnes qui « ont contribué à la résistance du peuple français contre l’ennemi et ses complices depuis le 18 juin 1940 » en accomplissant des « actes remarquables de foi et de courage » au péril de leur vie (ordonnance n°42 du 9 février 1943).