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Май
2024

Guillaume Limousin, le "petit prof" contre Didier Raoult : "On peut tous faire bouger les choses"

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"N’ont pas été jugés diffamatoires ni injurieux" les messages qui affirmaient que Didier Raoult avait commis "de nombreuses 'erreurs niveau collège' dans ses publications scientifiques". C’est le verdict rendu mardi 14 mai par le tribunal correctionnel de Marseille qui a relaxé Guillaume Limousin, un professeur de mathématiques d’un collège dans l’Isère. Ce dernier était attaqué par Didier Raoult en diffamation et injure publique pour avoir publié une série de messages sur le réseau social X (ex-Twitter) en janvier 2022. L’ancien directeur de l’IHU Méditerranée est, en outre, condamné à payer 2 000 euros au défenseur au titre des frais d’avocat. Ses représentants ont annoncé vouloir faire appel.

Sous le pseudonyme Sonic_urticant, Guillaume Limousin avait dressé un "best-of des pires publications ’scientifiques’ de Didier Raoult", affirmant que certains résultats, dont des images, étaient retouchés et que "des centaines" de publications étaient "autoplagiées". Il dénonçait aussi la non prise en compte de patients décédés dans le cadre d’une étude censée démontrer l’efficacité de l’hydroxychloroquine, ainsi qu’une série d’erreurs "niveau brevet des collèges".

Si ce procès a été l’occasion de remettre en lumière les fautes commises par Didier Raoult, il a aussi placé sur le devant de la scène Guillaume Limousin. Ancien ingénieur et docteur en hydrogéologie géochimie, très actif sur Twitter, cet enseignant s’est lancé depuis quatre ans dans la dénonciation des fausses informations scientifiques et médicales sur les réseaux sociaux, quitte à remuer ciel et terre pour faire éclater la vérité et dénoncer l’inaction des autorités. Avec un succès indéniable… Il a accepté, pour la première fois, de répondre sous son véritable nom. Entretien.

L’Express : Vous avez été relaxé des deux chefs d’accusation (diffamation et injure publique). Comment accueillez-vous cette décision ?

Guillaume Limousin : Je suis satisfait. La justice confirme qu’il est possible de dire que des publications de Didier Raoult "n’ont pas le niveau collège", quand on en apporte la preuve et que tout est documenté.

Qu’est-ce qui a donné envie à un enseignant en collège comme vous de contester avec autant d’énergie les études de l’IHU de Marseille ?

Je suis depuis très longtemps passionné par les sciences et les questions de santé. Quand j’ai vu Didier Raoult porté aux nues par la presse en 2020, je me suis logiquement intéressé à ses publications scientifiques. Après avoir lu son premier article sur l’hydroxychloroquine, je me suis dit : "C’est grotesque, cela ne tiendra pas une semaine". Mais au contraire, ses thèses n’ont cessé de prendre de l’ampleur. L’hydroxychloroquine a fait l’objet de grands essais randomisés, on a dépensé des milliards dans ce qui était un mauvais candidat médicament dès le départ. Cette molécule a même influencé Donald Trump et des décisions sanitaires au Brésil !

J’ai aussi été ému lorsque j’ai vu que l’IHU avait inclus des enfants dans ses études. C’est cela qui a déclenché mon action. Pareillement lorsque j’ai constaté que des morts avaient disparu des résultats de l’une des études menées par les équipes de Didier Raoult. Je pressentais que cela allait devenir un scandale sanitaire. J’étais sûr que les autorités allaient stopper ce délire. Mais non. Alors au bout de quelques mois, j’ai activé des contacts dans des sociétés savantes, à l’Inserm ou dans des hôpitaux. Certains étaient trop occupés, d’autres avaient peur pour leur carrière. Je me suis dit : "Si tu ne fais rien, tu vas t’en vouloir toute ta vie". Toutes mes actions ont abouti et les autorités sanitaires ainsi que les corps d’inspection et la justice m’ont donné raison, mais cela m’a entraîné dans un maelström que je n’imaginais pas.

Maelström qui vous a notamment conduit à fédérer de nombreux scientifiques et médecins qui combattaient la désinformation médicale chacun de leur côté, ou encore à contacter des députés et des sénateurs pour qu’ils portent des amendements dans des lois…

Ma toute première action a été de contacter des connaissances afin qu’ils rédigent une tribune pour dire "Halte à la fraude scientifique". Elle a été publiée en septembre 2020 dans Libération. J’ai également envoyé un document détaillé à l’ordre des médecins qui a contribué à ce que Didier Raoult soit sanctionné.

Il est parfaitement anormal qu’un "petit prof de maths" soit obligé de s’occuper de cela

Puis j’ai créé mon compte Twitter pour faire connaître le fact-checking sur l’hydroxychloroquine et les études de l’IHU. Des personnes d’horizons divers - informaticiens, scientifiques, médecins - sont venues m’aider spontanément. Ensuite, j’ai mis en relation celles qui me semblaient les mieux informées pour leur dire qu’il fallait mener des actions en dehors des réseaux sociaux. J’ai, par la suite, coorganisé une tribune publiée dans Le Monde en octobre 2020 [NDLR : demandant la définition dans la loi de règles garantissant l’honnêteté et la rigueur scientifique] et signée par un collectif de près de 90 sociétés savantes. C’est, à ma connaissance, la plus importante tribune dans le champ de la recherche et de la médecine en nombre de signataires. Cela représente des dizaines de milliers de personnes.

Ce travail s’inscrivait dans le cadre d’un autre projet visant à convaincre députés et sénateurs de porter des amendements contre la fraude scientifique dans la loi de programmation de la recherche. J’ai donc été en contact étroit avec des politiques. Et la loi a fini par être votée avec les bons amendements. Reste, maintenant, à l’appliquer…

Pourquoi des politiques vous ont-ils accordé leur oreille ?

Ils ne m’ont sans doute pas accordé plus de temps qu’à d’autres. C’est pour cela que je dis : "Les réseaux sociaux ne suffisent pas, parlez à la presse, écrivez aux cabinets ministériels, aux sénateurs, aux députés et aux autorités de santé de façon factuelle et sourcée : c’est beaucoup plus efficace." Tout le monde peut le faire. Après, j’ai sans doute eu l’avantage d’être apolitique, même si les extrêmes ne sont pas ma tasse de thé. Le texte a d’ailleurs reçu l’adhésion de certains LR, et de représentants d’autres partis, jusqu’au PCF. Sans doute aussi que l’envoi de documents "clefs en main", bien documentés et synthétisés, a aidé. Les politiques ont dû voir que c’était sérieux.

Comment expliquez-vous qu’il ait fallu l’action d’un citoyen anonyme comme vous pour contribuer à faire tomber Didier Raoult ?

Je me pose la même question ! C’est inadmissible de la part du gouvernement et des autorités de santé. Même les sociétés savantes et académies ont tardé à prendre position. Il est parfaitement anormal qu’un "petit prof de maths" soit obligé de s’occuper de cela ! C’est le signe d’une faillite à tous les niveaux, comme un article de la prestigieuse revue Science l’a dit.

En démocratie, les citoyens peuvent faire bouger les choses

On parle tout de même de dizaines de millions d’euros de surfacturation à l’IHU de Marseille, ce que l’IGAS a qualifié de "fraude à l’assurance maladie" dans son rapport. On parle aussi de centaines de morts rien qu’en France et de plus d’une dizaine de milliers de morts dans le monde, sans doute des dizaines de milliers, d’ailleurs. C’est peut-être, en nombre de morts, le plus grand scandale sanitaire de tous les temps. Et tout le monde savait. Avoir laissé faire est impardonnable. Mais s’il y a un message d’espoir à retenir, c’est qu’en démocratie, les citoyens peuvent faire bouger les choses, même si on est un petit citoyen lambda.

Les plaidoiries du procès que Didier Raoult a intenté, qui se sont déroulées vendredi 1er mars 2024, ont été marquées par de violents dérapages. Comment avez-vous vécu ce moment ?

C’était hallucinant. Il y avait un comité d’accueil avec des pancartes antivax, des fourgons de CRS. La salle de 60-70 places était pleine à craquer. Je me suis fait injurier en continu pendant plus de vingt minutes, dont des insultes handiphobes venant d’un professeur proche de M. Raoult. J’ai entendu des choses comme : "Ça fait quoi d’être dépressif ? Il faut aller voir un psy !", "Ici c’est Marseille bébé", "Je vais pisser (sic), surveille mes affaires, il y a des voleurs ici", en me pointant du doigt.

Ma témoin, l’épidémiologiste et biostatisticienne Dominique Costagliola, a également été prise à partie. On lui a demandé : "Alors, bientôt un film avec Marc Dutroux ?". Et quand elle a témoigné, elle a dû préciser qu’elle se faisait diffamer au même moment sur les réseaux sociaux. Quant à Didier Raoult, il a pris la parole pendant plus d’une demi-heure pour évoquer des choses qui n’avaient rien à voir avec le procès. Avec d’autres personnes du public, il est sorti avant la fin de l’audience, alors que mon avocat était en pleine plaidoirie. Même la présidente a fait remarquer qu’il s’agissait d’un "non-respect inacceptable du tribunal". J’ai détaillé tout cela dans des messages sur mon compte X.

Vous évoquez des insultes handiphobes, pourquoi ?

Lors du procès, des larmes me sont montées aux yeux lorsque j’ai évoqué les potentielles dizaines de milliers de morts liées à l’usage d’hydroxychloroquine contre le Covid-19 [NDLR : une référence à une étude scientifique publiée en janvier 2024 démontrant la dangerosité de l’administration de ce médicament]. Mon avocat a alors précisé que j’étais atteint d’un trouble du spectre autistique. Des personnes se sont moquées de moi pendant le procès et cela a été une déferlante sur les réseaux sociaux, avec des centaines d’insultes, des élucubrations sur ma santé mentale, etc. Ceux qui ne voient les autres qu’à travers leur trouble ou leur spécificité neuronale sont détestables…

Mais s’il faut en parler, j’admets que quand quelque chose me tient à cœur, je vais jusqu’au bout. Et ce depuis tout petit. J’ai aussi des centres d’intérêt spécifiques, comme tous les autistes. Je ne peux pas supporter l’injustice et l’illégalité. J’aime l’ordre, je suis attaché au respect de la loi et à la protection des plus faibles.

Et, en réalité, vous avez aussi un solide parcours scientifique…

Je n’ai que deux ou trois publications scientifiques à mon actif. Mais au moins, elles sont soignées. L’une d’elles a été publiée dans une grande revue de géochimie et a été citée plus de 1 300 fois et notamment par l'ONU. Il s’agissait d’une revue bibliographique qui a demandé un important travail de recherche. C’est finalement logique : j’ai toujours dévoré les livres et les documents et aimé décortiquer des milliers de pages. J’ai aussi travaillé comme ingénieur, avant de quitter cet emploi pour revenir à ma première passion : l’enseignement. J’ai donc enseigné l’horticulture auprès d’enfants handicapés. Puis je suis devenu professeur de mathématiques car il existe un fort besoin. J’adore mon métier et je n’en changerais pour rien au monde.

Votre implication dans ce combat a demandé des heures de travail incalculables… Quelles ont été les conséquences financières et sur votre santé ?

Si je mets tout bout à bout, je dois en être à plus d’une dizaine de milliers d’heures depuis quatre ans. Certaines périodes, j’y passais mes vacances, mes week-ends et jusqu’à tard le soir. Quand vous mettez en relation pour l’écriture d’une tribune 90 sociétés savantes qui discutent chaque virgule (rires), cela prend du temps !

Côté finances, j’ai été obligé de lancer des cagnottes en ligne pour mes frais judiciaires. Pour me défendre, mais aussi parce que je poursuis ceux qui ont appelé au meurtre, m’ont doxé [NDLR : révéler des informations qui permettent d’identifier quelqu’un en ligne], ont publié le nom de mon collège ou qui me harcèlent en permanence. Il y a quand même un gros problème en France : même lorsque vous êtes intégralement relaxé, même lorsque d’autres personnes vous poursuivent, il est très rare d’être intégralement remboursé, alors que cela implique des milliers d’euros par procédure. C’est intolérable : on ne devrait pas avoir à payer lorsqu’on est innocent.

Quant à la santé… Ce qui est sûr, c’est que recevoir des milliers de messages haineux n’est pas anodin. De même quand Didier Raoult passe sur BFMTV et cite mon nom en disant à quatre reprises : "C’est un prof de maths cinglé." Ou lorsque France-Soir publie un article appelant à la décapitation de nombreuses personnes, dont moi. Quand j’ai reçu des appels anonymes, j’ai compris que cela prenait une tournure dangereuse. Mais ces attaques ne me feront pas renoncer à la lutte pour l’intégrité scientifique et contre le charlatanisme. Je reconnais être inquiet pour l’avenir, car un monde qui verse dans le complotiste ou le trumpiste et où le rapport à la vérité devient biaisé est très dangereux.