[Cannes 2024] “Furiosa” est-il à la hauteur de “Mad Max: Fury Road”?
Le film se démarque notamment en volume de dialogue (Charlize Theron avait quatre-vingts lignes dans le volet dont elle n’était pourtant pas l’héroïne officielle, Anya Taylor-Joy n’en a que trente dans son propre spin-off – à côté John Wick est une vraie pipelette), ou par son relâchement comique poussé jusqu’à une certaine bouffonnerie (Chris Hemsworth en bandit-gourou, méchant quelque peu désinvesti dont le second degré évoque les Thor de Taika Waititi).
Mais surtout, il procède plutôt d’une forme de déploiement passant d’un principe d’écriture du récit et de l’espace (ce qui ici revient au même) extrêmement allusif et épuré – un segment de désert, un aller, un retour – à un univers pratiquement cartographié, historicisé, étalé sur une plage de quinze ou vingt ans de chronique politique des guerres tribales du Wasteland. Manière de refaire le passage de Mad Max 2 à Beyond Thunderdome : un western tranchant, presque théorique, à l’unité d’action limpide (défendre une raffinerie, s’échapper de la Citadelle), suivi d’un péplum proliférant en ordre dispersé, avec une dimension d’apprentissage messianique. Le jeu vidéo d’Avalanche Studios, développé conjointement à Fury Road, semble aussi passer par là : Furiosa a quelque chose de l’open world – littéralement du bac à sable. Sa succession d’infiltrations, de prises de places fortes, travaille des dynamiques de jeu, de même que ses scènes de looting (Miller prenant systématiquement le temps de filmer ses personnages récupérant des munitions ou des pièces de rechange sur les cadavres d’hommes et de véhicules) : le film est un run, une partie filmée.
Superlatifs
Mais alors pourquoi, fondamentalement, être retourné dans le Wasteland ? Pas tant pour étoffer le personnage obstinément unidimensionnel de Furiosa, qui demeure tout au long du film une porte close, que pour reprendre et rehausser l’ouvrage prométhéen ouvert par Fury Road, à savoir celui d’une sorte de film de train sans train, dont le convoi de camions et de muscle cars est toujours relié comme un immense wagonnage, incapable ni de s’arrêter, ni de dérailler de son axe infiniment rectiligne et sans but – ou qu’on ne cesse d’oublier. La flamboyante poursuite centrale dont les mensurations superlatives ont, dès avant le festival, envahi la presse (78 jours de tournage, 15 minutes de pyrotechnie, et la tienne elle mesure combien ?) et sa nuée de pas si petites sœurs, sont la raison d’être d’un film qui s’intéresse plus à la danse des choses qu’aux passions des femmes et des hommes ; ou plus exactement dont la grande affaire est de transcender les secondes dans la première. C’est la plus importante leçon d’un burlesque muet dont le cinéaste semble avoir plus que jamais trouvé la clef avec le casting d’Anya Taylor-Joy : marionnette mutique, poupée invincible, mue par une idée fixe qui la rendrait presque inhumaine sans ce voile d’ironie mélancolique dans le regard ; bref, furieusement keatonienne, quand elle se dresse au milieu de l’apocalypse ambulante de cette nouvelle “General” dont elle est justement le mécano.
Un an après le Mission Impossible : Dead Reckoning de Christopher McQuarrie, le motif du train, primitivement consubstantiel du cinéma, obsède inlassablement un certain champ de blockbusters démiurges, attachés à percer encore et encore l’écran du salon indien, tendus vers une destination inconnue qui ne semble ici pas moins que la fin des temps.
Furiosa, de George Miller, avec Anya Taylor-Joy, Chris Hemsworth. Hors compétition