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Май
2024

Automobile : pourquoi les entreprises devraient massivement passer à l'électrique

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Tout un symbole. Le cap du million de véhicules électrifiés en circulation en France a été franchi en 2023. Très précisément, 939 740 voitures particulières et 115 558 utilitaires légers. Pour la première fois aussi, les ventes d’électriques et d’hybrides neuves ont dépassé celles des motorisations classiques. D’une courte tête, sans doute, (50,3 %), mais les chiffres sont là. Ce cocorico tricolore est redevable en grande partie aux flottes d’entreprises, des administrations et des loueurs longue durée. Au fil des mois, l’écart entre les immatriculations de diesels et des propulsions dites propres s’est resserré, jusqu’au moment où les courbes se sont croisées.

Cerise sur le gâteau : la France peut se targuer d’obtenir un bon résultat dans l’étude sur la mobilité réalisée par Ayvens (ex-ALD-LeasePlan). Sur 46 pays passés au crible, elle décroche une très honnête septième place et n’est devancée que par les pays nordiques, partis beaucoup plus tôt dans la course à la transition vers une mobilité plus vertueuse. "Pour notre enquête, nous avons tenu compte de six critères : l’offre en véhicules verts ; leur taux d’adoption ; la parité du coût total de détention par rapport à leur équivalent à combustion interne ; le déploiement de l’infrastructure de recharge ; la pertinence en matière de développement durable et l’ensemble fiscalité-réglementation", explicite Annie Pin, directrice commerciale et responsable du programme d’électrification chez le loueur longue durée.

A cet égard, l’Hexagone dispose de nombreux atouts, au premier rang desquels la taille de son marché. Tous les constructeurs y sont implantés. Il en découle une offre étendue, promise à s’étoffer. Le score s’améliore d’autant que l’électricité française est pour une bonne part décarbonée grâce au recours au nucléaire et aux énergies renouvelables.

"Toutes les voitures électriques ne se valent pas d’un pays à l’autre, prévient Annie Pin. Leur empreinte carbone est inférieure de 20 % à 80 % à celle d’une thermique selon leur cycle de vie qui inclut la fabrication, les matériaux utilisés, la nature des sources d’énergie et leur recyclage. Leur poids doit également être pris en compte car plus elles sont lourdes, plus leur batterie doit être puissante, ce qui les amène à consommer davantage." Or, les SUV, ces berlines haut perchées aux fausses allures de 4X4, représentent un tiers de ces immatriculations et engloutissent un quart de kilowattheures de plus qu’un modèle moins imposant.

Une guerre des prix larvée

En dépit de la guerre des prix larvée déclenchée par Tesla il y a un an, le montant de l’investissement rebute encore certaines entreprises. "Pourtant, à l’usage, les électriques sont plus économiques, d’où l’intérêt de prendre en compte le coût total de détention et non seulement celui de l’acquisition.", insiste Philippe Ambon, directeur du développement du gestionnaire de flottes holson.

L’argument mérite d’être entendu. D’une part, les frais de maintenance sont inférieurs à ceux d’une essence ou d’un diesel sur le long terme puisque ces véhicules embarquent un tiers d’organes en moins. En clair, fini les vidanges, le remplacement des bougies et autres changements de filtres à carburant ! Quant à la durée de vie d’une batterie, elle s’est allongée. Désormais, elle fonctionne correctement huit ans, à condition toutefois d’éviter les charges rapides, de se brancher avant que l’autonomie ne descende au-dessous de 30 % et de ne jamais dépasser les 80 %.

D’autre part, la facture d’un plein reste nettement inférieure à celle d’un carburant fossile. L’Avere, l’association pour le développement de la e-mobilité, note dans son rapport semestriel que le budget mensuel de mobilité d’un conducteur typique – qui effectue 80 % de recharge à domicile et 20 % en voirie – est en moyenne le tiers de celui d’un utilisateur de véhicule thermique. De ce fait, les sociétés sont enclines à encourager leurs salariés à utiliser les installations de leurs sites, plus économes, que celles des collectivités locales.

"Le prix du kilowattheure demeure peu transparent. Il varie d’un opérateur à l’autre. Une session de recharge peut être facturée au temps, souvent par minute, au kilowattheure ou en mixant les deux, pointe Annie Pin. Surtout, un véritable débat est souhaitable au niveau européen sur une obligation d’accès à l’itinérance entre tous les opérateurs, comme cela a été imposé pour le téléphone."

L’infrastructure constitue toujours un frein psychologique important à l’adoption de la "watture". L’angoisse de la panne reste prégnante. Les salariés qui, à leur domicile, ne disposent pas de parking équipé de prises rechignent à accepter un véhicule de fonction qu’ils ne peuvent pas recharger la nuit chez eux. Sauf à le laisser sur la chaussée et à risquer une amende pour stationnement abusif sur une place réservée… à la recharge, pour dépassement du temps autorisé. Or l’autonomie des modèles actuels est comprise entre 100 et 400 kilomètres. A comparer aux trajets quotidiens qui n’excèdent pas 60 kilomètres dans 80 % des cas, et se limitent même à 32 kilomètres pour les urbains. La crainte de se retrouver avec une batterie déchargée est donc souvent infondée ; elle n’en est pas moins réelle.

En France, quelque 120 000 bornes équipent aujourd’hui les rues, les autoroutes et les garages. TotalEnergies commence à ouvrir ses premières stations 100 % électriques. Néanmoins, la cadence doit encore accélérer pour atteindre l’objectif fixé par le gouvernement : 400 000 points de ravitaillement dans six ans.

Faire jouer la concurrence

En tout cas, la hausse des tarifs de l’énergie, de l’inflation et des taux d’intérêt ne décourage pas les entreprises de verdir leurs flottes. "Les gestionnaires choisissent des voitures de gabarit inférieur ou recourent plus volontiers à des solutions de mobilité en associant une petite voiture complétée à un vélo ou une carte de transport. Ils font aussi jouer la concurrence entre les marques. Certains étendent les contrats et se permettent d’allonger la durée de la location puisque les coûts d’entretien n’augmentent pas avec le temps. D’autres réduisent les kilométrages pris en compte dans le calcul du loyer", observe Annie Pin. Le rythme du verdissement n’est pas au goût de l’ONG Transport & Environnement : "60 % des entreprises concernées par la loi d’orientation des mobilités ne respectent pas leur quota de renouvellement", fustige Léo Larivière, responsable plaidoyer transition automobile.

"L’impact du parc automobile sur le bilan carbone d’une entreprise ne sera pas le même selon le secteur d’activité. Il avoisinera un faible pourcentage pour un industriel dont les nombreuses usines pèsent davantage dans la balance. Il atteindra jusqu’à 75 % pour un cabinet de conseil ou un prestataire de services. Le mix des motorisations et les étapes des renouvellements seront programmés alors différemment", précise Philippe Ambon. Les entreprises ont pourtant subi de plein fouet les restrictions des bonus. La prime écologique leur passe sous le nez pour les voitures et celle accordée pour l’acquisition de camionnettes neuves a été rabotée de 1 000 euros.

"Les fluctuations des politiques ont des impacts négatifs sur la transition des entreprises à long terme. Il nous faut une vision claire et un accompagnement à l’électrification soutenu dans le temps", déplore Annie Pin, qui estime, dans le même temps, que les taxes et les avantages fiscaux demeurent assez significatifs pour contribuer au basculement vers des versions zéro émission. Après tout, ce ne serait pas la première fois que la peur des sanctions démontre son efficacité.

Un article du dossier spécial "Automobile" de L’Express, paru dans l’hebdo du 18 avril.