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Май
2024

Juillet 2028 : dans les Alpes, le glacier de Tête Rousse s’effondre

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Entre une région touchée par des inondations et une autre frappée d’une sécheresse historique, il n’y a que mille kilomètres. Paradoxal et saisissant effet d’un climat toujours plus bouleversé, et de tensions grandissantes sur les ressources en eau du pays. Chaque été, désormais, impose son débat sur ses usages et sur son accès, alors que les pluies parfois torrentielles de l’hiver ravagent certains territoires. Comment adapter la France à cette nouvelle réalité ? L’Express a souhaité apporter sa pierre à l’édifice d’un débat plus nécessaire que jamais. Ces six "scénarios noirs" de l’eau à l’horizon 2030 en sont la traduction. Ils ne sont ni des prévisions, ni des prédictions. Mais des hypothèses sur lesquelles travaillent déjà plus ou moins directement les pouvoirs publics et industriels, et dont les trames ont été affinées et enrichies par la quarantaine d’experts interrogés : chercheurs, météorologues, hauts fonctionnaires, ingénieurs, assureurs… Tous sont unanimes : la résilience du pays face à ces événements se construit dès maintenant.

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Il est 23 h 30 quand le cri strident d’une sirène emplit le hameau de Bionnay. Deux secondes d’alarme, trois secondes de silence. Dans ces maisons posées en fond de vallée, à trois kilomètres du centre de Saint-Gervais-les-Bains, en Haute-Savoie, l’alarme est bien connue des habitants qui n’y prêtent plus attention : comme pour les pompiers, elle sonne tous les premiers mercredis du mois. En cette nuit de juillet 2028, ce n’est pas un exercice : 300 mètres plus haut, le glacier de Tête Rousse vient de s’effondrer. Sous l’effet de la fonte, une poche d’eau sous pression de 50 000 mètres cubes a cédé. En quelques minutes, une quantité phénoménale de glace et de roche dévale les pentes rocheuses du désert de Pierre Ronde et gagne le torrent de Bionnassay, qui gonfle subitement. Une "lave torrentielle" charrie des rochers, des arbres, et atteint les premières habitations.

Ici, près de 1 000 personnes vivent et viennent en vacances. Beaucoup dorment déjà, et peu sortent de chez eux. Ils sont les premiers touchés quand le magma glacial frappe. Les gestes d’urgence et les zones refuges situées en hauteur ont été oubliés. "Tant qu’un risque n’est pas arrivé, la population n’y croit plus, alors la connaissance du risque s’est complètement évaporée", se désole Jean-Marc Peillex, le maire de Saint-Gervais. Il se souvient d’un épisode d’alerte en 2015 durant lequel très peu d’habitants se sont mobilisés pour respecter les consignes de sécurité. Cette fois, le flot emporte tout sur son passage. Maisons, voitures, lignes électriques, disparaissent dans un grondement assourdissant. La crue poursuit sa route le long du cours d’eau, avant de ralentir quelques kilomètres plus loin, parvenant tout de même à inonder la zone du Fayet. Au lendemain de la catastrophe le bilan est lourd : entre 2 000 et 3 000 victimes.

Pas de prise en compte dans les plans de prévention

Le glacier était pourtant surveillé comme le lait sur le feu. En 1892, une catastrophe similaire avait frappé la zone. A l’époque, 200 000 mètres cubes de glace et d’eau avaient inondé la vallée, encore peu peuplée ; 17 maisons et un établissement thermal avaient été détruits, faisant près de 250 morts et laissant un traumatisme majeur. En 2010, une équipe de scientifiques avait observé une nouvelle poche d’eau d’environ 60 000 mètres cubes dans les entrailles du glacier. "Nous étions dans une situation de crise absolue : l’eau sous pression menaçait d’exploser", se souvient Christian Vincent, ingénieur de recherche au CNRS et spécialiste des risques d’origine glaciaire. Le glacier de Tête Rousse avait par la suite été parsemé de capteurs, et avait été vidangé de multiples fois. Mais une nouvelle poche avait été observée en 2024. Située dans une zone difficile d’accès, sa surveillance avait été moindre. C’est cette dernière qui pourrait avoir provoqué la rupture. Les scientifiques estiment que le changement climatique pourrait avoir joué un rôle, mais nuancent : les dynamiques complexes du glacier restent difficiles à saisir.

L’ampleur de la catastrophe raconte aussi l’urbanisation de la montagne. Sans règles interdisant les constructions, les maisons ont fleuri à côté du cours d’eau. "Les plans de prévention des risques n’ont pas tenu compte de la catastrophe de 1892", constate Christian Vincent, qui tempère : "Quand on regarde les risques similaires dans la région on pourrait fermer toutes les Vallées". La probabilité d’un sinistre étant jugée très faible, elle n’avait pas été prise en compte dans le plan de prévention des risques majeurs prévisibles (PPR) de la préfecture. La surveillance du glacier, les mécanismes d’alertes et les mesures de pompage offraient, en outre, un cadre rassurant. "Le plus difficile, ce n’est pas de détecter l’aléa, c’est de savoir s’il constitue un risque", conclut Christian Vincent.