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Май
2024

Dans sa chronique du temps présent, Astrid Eliard doute des "propositions de nos gouvernants, ces marchands de fessées"

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Quand j’ai commencé à enseigner, on m’a prévenue au sujet d’une peur que je méconnaissais, la peur de se retrouver seul.e, dans une salle de classe, face à trente adolescents. On m’a dit :

Surtout, n’oublie jamais que ce ne sont que des gosses. Des merdeux, des morveux, des chiards. Te laisse pas emmerder par un gamin de 14 ans qui a la moustache trop claire et sent un peu fort le déodorant.

Je ne voyais pas bien le problème ; j’ai accueilli le conseil du vieux sage par un haussement d’épaules. J’ignorais tout de la jeunesse alors, tout de ce qui dérange en elle, elle qui n’a pas de gosses à élever, pas de salaire à gagner à la sueur de son front et se contrefout de porter le même slip deux jours de suite. 

Sans peur (empty)

J’ignorais l’indifférence, l’arrogance, l’indiscipline, les paroles et les mouvements hirsutes, cette façon de dévaler les escaliers comme une piste de ski, tout schuss, les lacets défaits… L’absence de peur qui invite à grimper sur les toits, la fatigue provocante, l’ennui. De quoi peut être capable un adolescent qui s’ennuie ? Et un autre qui veut s’amuser ? 

Marchands de fessées

Je tremble déjà en lisant dans vos pensées les noms de Shemseddine, Zakaria, Samara, Philippe. Je ne suis pas naïve, je sais, hélas, de quoi est capable un adolescent qui se shoote aux scènes de décapitations et au porno sur Tiktok. Ça me terrifie. Mais je ne vois pas bien comment les choses pourraient s’arranger quand j’entends les propositions de nos gouvernants, ces marchands de fessées.

Et la prévention ?

On ne parle que de sanctions, jamais de prévention ni même d’examen de conscience sur l’origine, le cycle de la violence. Car d’où vient-elle, enfin, cette haine des jeunes ? Cette détestation des autres, des Juifs, des homos, des Arabes, des femmes ? Ils la boivent dans leur lait-fraise peut-être ?

Ainsi, on préfère parler de couvre-feu, dire qu’on va boucler cette jeunesse dans les collèges, les lycées, de 8 heures à 18 heures (pour faire quoi ? face à quels adultes ? il en manque déjà tellement dans les établissements scolaires...), et lui enfiler l’uniforme de force.

Triste anniversaire

Je ne peux pas m’empêcher de voir dans ces idées des traces de ce ressentiment bien humain à l’égard de ces merdeux, ces morveux, ces chiards comme on dit, ressentiment qui fête un triste anniversaire cette année, celui de la mutinerie réprimée à la colonie pénitentiaire de Belle-Île, en 1934. Prévert était là. De toute cette violence, il fit un poème : "C’est la meute des honnêtes gens / Qui fait la chasse à l’enfant / Pour chasser l’enfant, pas besoin de permis / Tous les braves gens s’y sont mis".Je me demande comment tout cela va se terminer.

Astrid Eliard