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Май
2024

Stephen Carrière, éditeur, fils d'éditeur, neveu d'éditeur et petit-fils de Robert Laffont

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Il parle de son métier comme un enfant qui vit son rêve. Pourtant… « Je ne suis pas “fils de”, je suis “petit-fils de”, “fils de”, “neveu de”… » L’homme est à la tête des éditions Anne Carrière, du nom de sa mère. Son grand-père était un certain Robert Laffont. « Ma tante et mon oncle ont dirigé Lattès. Le mari de ma tante est un pilier d’Albin Michel. C’est totalement dynastique. » Et si Stephen peut tirer des centaines d’histoires de son enfance, il concède que « c’est comme toutes les histoires de familles, quand tu les vis, rien ne te paraît extravagant ».

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Le milieu de l’édition, Stephen l’aime. « Assez bien foutu, assez civilisé et assez tempéré. Le côté parisianisme, c’est un effet du jacobinisme. L’édition, c’est les illusions perdues, c’est Balzac. »Et un pilier de la culture française. À ranger dans un tiroir atavique aux côtés de la baguette et du droit de grève. 

En France, pour avoir réussi, il faut avoir publié un livre. Politiques, sportifs, personnages publics… Selon les sondages, un Français sur trois a un projet d’écriture. 

Silence. Et rires. « Et il n’y a pas un Français sur trois qui lit. »Stephen met le doigt sur le mal de l’édition. Des ventes en difficultés. Pourtant, les chiffres sont corrects. Mais trompeurs. « La quantité est assez stable. Pour plusieurs raisons. Les Français aiment offrir trois objets : du vin, des fleurs et des livres. Le boom extraordinaire du manga. La réinvention de la BD par le roman graphique. Les Pass culture avec lesquels les jeunes achètent des livres. La tradition de décryptage du monde par l’écrit en France. Et puis les parents qui ne lisent plus, se sentent coupables et achètent plein de livres aux enfants. »Mais la réalité, la voici : Il y a eu plus de 22.000 nouveaux livres publiés en 2023 (contre 19.000 en 2022 et 17.000 en 2021). 1.300 ont dépassé les 2.000 ventes. « Il y a 20 ans, les best-sellers faisaient 80.000 exemplaires. L’an passé, nous publions un très beau roman, finaliste dans deux des quatre plus prestigieux prix et nous faisons 12.000 exemplaires. »

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Pourquoi ? Comment ? À cette question, le ton verni de Stephen s’accélère. Et notre entretien de quelques minutes se prolonge d’une heure. L’analyse de son époque le passionne, il n’y a aucun doute. 

Il y a 15 ans, les gens avaient peur que le livre numérique nous détruise. Ce que personne n’a vu venir, c’est la concurrence de l’attention. Un Français passe 3 h 30 par jour sur son téléphone. Mais il n’y a pas que ça. L’explosion de l’offre feuilletonnante. Et les lecteurs sont des bingers. Au lieu de lire un chapitre avant de dormir, ils regardent un épisode. 

Sur les algorithmes qui cloisonnent les esprits, Stephen Carrière est aussi prolixe. Il a expérimenté cet engluement dans ses insomnies. « Je fais des recherches sur un sujet pendant trois mois, puis je cherche le contradictoire. Mais là, même avec une recherche très explicite, ce n’est plus possible. Quand Google a décidé que tu étais comme ça, tu es comme ça. » À l’opposé de ce qu’il aime « égoïstement » dans son métier. « Je finis systématiquement l’année moins con que je l’ai commencé. Je côtoie tellement de gens brillants. »Et l’écriture dans tout ça ? Soupir. « C’est le seul moment où je suis totalement heureux. Serein. Parce que ce n’est pas un bonheur d’évitement de mes angoisses. » Et puis, publier un livre, c’est un peu réussir sa vie.  

A lire. Maintenant, de Stephen Carrière, éd. Phebus, 208 p., 19,50 €

Simon Antony