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Май
2024

Du collège local à la chimie nucléaire

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L’ancien collège de Cusset a vu passer dans ses murs, dans les années 1940, bien des futures célébrités, exilés parisiens à Vichy devenue capitale éphémère : les artistes Claude Nougaro ou Jean Rochefort, les écrivains Denis Tillinac ou René Barjavel, le trompettiste Guy Touvron, la chanteuse Jacqueline Dulac, ou le fils de Marcel Pagnol et de l’actrice Orane Demazis, Jean-Pierre Burgart, et autres figures locales…

Pourtant, il est un ancien élève dont le nom est injustement méconnu malgré la vie totalement hors du commun qui fut la sienne, résistant, évadé, militaire, et une pointure mondiale de la chimie nucléaire : Marc Lefort.

Né en 1922 à Souvigny, il fréquenta le collège de 1936 à 1940, passa avec succès son bac le 25 août 1940, l’examen ayant pris du retard en pleine invasion allemande.

« Ma famille a très mal ressenti la capitulation du maréchal Pétain »

Le collégien écrit alors dans des documents retrouvés par sa fille : « Ma famille a très mal ressenti la capitulation du maréchal Pétain, mon père instituteur fut révoqué en 1940, et j’ai fait partie, dès novembre 1940, d’un groupe d’étudiants distribuant des tracts contre le gouvernement du maréchal. »

Le jeune homme organise aussi une base d’étudiants communistes clandestins, se mettant ainsi en danger. Mais le 1 er  février 1941, des hommes de la Police Spéciale du gouvernement Pétain viennent l’arrêter à la faculté de Clermont où il poursuit ses études. Emprisonné et torturé, il connaîtra les geôles de la prison de Clermont-Ferrand puis celles de Riom, où il côtoie Jean Zay, (l’ancien ministre de l’Éducation nationale qui sera lâchement assassiné par des miliciens sur les hauteurs de Cusset, le 20 juin 1944), qui occupe une cellule voisine à la sienne.

Marc Lefort sera condamné à un an de prison, 500 F d’amende et privé de ses droits civiques pour « complot contre la sécurité de l’État ». En janvier 1942, d’abord transféré dans un camp d’internement en Haute Vienne, il apprend qu’il va être transféré en train vers une destination inconnue, sans doute l’Allemagne pense-t-il, ce qui s’avéra juste. Enchaîné à un autre détenu pendant ce sinistre voyage, les deux hommes projettent de s’évader.

Marc connaît bien la ligne de chemin de fer, sait que le train doit ralentir avant d’aborder le viaduc de Rouzat, c’est le moment propice pour sauter du train, après il sera trop tard. Ils sautent et se feront délivrer de leurs chaînes par des fermiers locaux qui ne diront rien. Marc se rend alors à pied à Saint-Germain-des-Fossés, caché par son père, puis rejoindra le maquis. Malgré les risques, se sachant recherché, l’envie est trop forte pour lui de reprendre ses études en physique chimie qui lui tiennent à cœur, il se trouve à la faculté de Toulouse sous une fausse identité.

Mais à l’automne 1942, les Allemands envahissent la zone libre, le jeune homme alors âgé de 20 ans est menacé par le STO (Service Travail Obligatoire), n’a aucune envie d’aller travailler en Allemagne, étant en plus en cavale, retourne en Auvergne et intègre un maquis près de Saint-Gervais-d’Auvergne, puis un autre groupe, de FTP (Francs Tireurs Partisans) dans la forêt des Colettes près de Bellenaves, participant à des opérations de sabotage. Puis ce sera la libération de Montluçon le 25 août 1944, pendant laquelle il se souvient que plusieurs de ses camarades sont tués à ses côtés lors d’âpres combats.

Par la suite, s’engageant dans l’armée régulière, il participe à la campagne d’Alsace et la libération de Colmar en février 1945. Démobilisé le 11 novembre 1945, Marc Lefort se dépêche de se diriger vers Paris pour rejoindre la faculté des sciences, grâce à une bourse d’ancien combattant, pour débuter ce qui va être pour lui une autre vie tout aussi passionnante.

Une chaire de chimie sera créée à son nom

Admis stagiaire au CNRS nouvellement créé, (Centre national de la recherche scientifique), le jeune étudiant rencontre la chercheuse Irène Joliot-Curie, fille de Pierre et Marie Curie (les prix Nobel de physique pour la découverte de la radioactivité), qui dès le début détecte chez ce garçon passionné un fort potentiel.

En effet, Marc Lefort n’a de cesse de progresser, soutient une thèse en 1950 : « Les propriétés du plutonium » devant un jury dans lequel siège Irène Joliot-Curie qui s’intéresse de plus en plus à ses recherches.

Au sein de l’Unité de physique nucléaire, il crée une unité de chimie nucléaire, et obtient le poste de professeur de chimie nucléaire à la prestigieuse université d’Orsay, où une chaire de chimie sera créée à son nom. Il écrira plusieurs ouvrages qui font référence dans le milieu de la recherche scientifique, donnera des conférences et enseignera dans différents pays.

Devenu un éminent acteur de la vie scientifique, reconnu par ses pairs, Marc Lefort, après avoir donné son dernier cours le 22 juin 1985, fera valoir ses droits à la retraite prise en octobre de cette même année, après avoir obtenu de nombreux prix qui récompensent des années de travail au service de la recherche.

Décoration

L’ancien élève du « bahut » de Cusset, devenu une pointure mondiale de la chimie nucléaire, sera décoré de la Légion d’honneur le 15 juin 1993 par Hubert Curien, ministre de la Recherche.

Après une vie bien remplie, Marc Lefort n’a pas oublié ses années de résistant, et par un courrier adressé à l’Association des anciens élèves du collège cussétois, dans lequel il prétend modestement qu’il n’a rien fait d’exceptionnel… a tenu à rendre hommage à la résistante cussétoise Anne-Marie Menut qui, sous la torture, n’a jamais donné aucun nom, sinon son père, qui fut responsable FTP, aurait été arrêté. Et il n’a jamais oublié non plus son Bourbonnais natal, son vieux collège de Cusset, et s’est éteint à 99 ans le 16 janvier 2021. 

Sources. Informations recueillies grâce à la fille de Marc Lefort, Anne Coulon, à Michel Richard et Jean-Michel Frélastre, membres de l’Association des anciens élèves du collège de Cusset.