TikTok, une application tout sauf "light", par Eric Chol
Le tic-tac final de TikTok a-t-il débuté ? Le vote, le 20 avril, par la Chambre des représentants, d’un projet de loi menaçant d’interdire la plateforme d’origine chinoise procure, on l’imagine, des sueurs froides non seulement aux responsables du réseau social aux Etats-Unis mais également à leurs parrains de Pékin : le texte ouvre la possibilité de bannir TikTok du territoire américain, privant ses 170 millions d’abonnés de ses vidéos et autres jeux addictifs.
En cause ? Officiellement, les dangers que fait peser l’application sur la démocratie américaine. Avril Haines, la directrice du renseignement national, l’a confirmé à demi-mot lors d’une audition devant le Congrès : selon l’espionne la plus célèbre des Etats-Unis, rien ne garantit que le Parti communiste chinois ne soit pas derrière TikTok pour influencer les prochaines élections.
Preuve de la toute-puissance de TikTok, cette crainte est aussi partagée en Europe – à moins de deux mois des élections européennes - ou ailleurs dans le monde. Une crainte largement alimentée par les relations troubles entre TikTok et sa maison mère, ByteDance, mais aussi par l’influence croissante de l’application auprès d’une population toujours plus vaste : 1,5 milliard d’abonnés dans le monde, 134 millions en Europe dont 25 millions en France… Chez les jeunes, TikTok fait un carton plein, et c’est l’autre question qu’elle soulève, celle d’une forme de dépendance numérique. "On met le doigt sur les risques d’aliénation provoqués par l’usage de l’application, en particulier auprès de ceux qui n’ont pas forcément une distanciation critique suffisante, prévient Emmanuel Lincot, professeur à l’Institut catholique de Paris, sinologue et chercheur à l’Iris. Le commissaire européen Thierry Breton juge même l’application, dotée de sa récente petite sœur TikTok Lite, potentiellement « aussi toxique et addictive que les cigarettes light ». La plateforme a beau être populaire, elle n’a jamais été autant sous surveillance. L’un expliquant peut-être l’autre : son succès lui vaut une hostilité tenace de la part de ses concurrents – pourtant pas irréprochables non plus sur ces sujets. "Aux Etats-Unis, il y a clairement un lobby anti-TikTok organisé par les autres Gafam", observe Maria Mercanti-Guérin, maître de conférences à l’IAE de Paris-Sorbonne.
Mais la guerre contre TikTok dépasse le cadre d’une bataille entre géants du numérique. Sur fond de menaces d’ingérences étrangères et de tentatives de désinformation, l’Occident a toutes les raisons de se montrer parano, à la veille de l’élection européenne et du scrutin présidentiel américain. Certes, il ne sera pas facile de démontrer que TikTok influence les votes, mais à voir l’usage massif que font les candidats d’extrême droite de l’application pour draguer l’électorat jeune, on comprend qu’il y a urgence à colmater les brèches de nos vieilles démocraties. L’Europe, en ouvrant le 22 avril une deuxième enquête visant le réseau social en l’espace de deux mois, montre qu’elle est a les moyens de faire front.