Livres : le vrai coût des frais de port obligatoires, par Frédéric Duval (Amazon)
En France, les politiques publiques culturelles restent prisonnières d’une lecture manichéenne des pratiques et acteurs culturels. Elles tendent ainsi à laisser de côté, voire à écarter délibérément, les formidables potentialités offertes par Internet. Elles se privent alors d’un levier efficace pour rendre la culture accessible sur tout le territoire, et la France se distingue sur ce point d’autres pays en Europe qui, eux, capitalisent sur le numérique pour rapprocher la culture des publics qui en sont le plus éloignés.
C’est d’autant plus regrettable que la culture se trouve être à la croisée des inégalités géographiques et sociales qui morcellent "l’archipel français". Prenons l’exemple des livres imprimés : plus de 90 % des 35 000 communes françaises n’ont pas de librairie quand Paris, à elle seule, concentre près de 20 % des librairies françaises pour seulement 3 % de la population. On comprend pourquoi près de la moitié des livres vendus par Amazon en France sont expédiés vers de petites villes et des zones rurales.
Internet permet en effet à de nombreux Français de s’affranchir des inégalités territoriales pour accéder à une vaste sélection de biens, services et contenus culturels qui leur correspondent – que l’on vive dans un village ou au cœur du Quartier latin. Malgré ses avantages indéniables, le numérique reste tenu à l’écart des politiques publiques culturelles en France, à l’image du Pass culture, qui aujourd’hui est largement ouvert aux offres en magasin, et beaucoup moins aux offres en ligne et numériques. En se trompant d’objectif et en niant la complémentarité des offres physique et numérique, les politiques publiques culturelles peuvent s’avérer contre-productives et creuser les fractures culturelles qu’elles souhaitent pourtant combattre.
Etude Ifop
Dans un contexte inflationniste qui porte atteinte au pouvoir d’achat culturel des Français, la proposition de taxer les livres d’occasion interroge. Il en est de même des frais de port obligatoires sur la livraison de livres, mis en œuvre avec l’objectif affiché de soutenir les librairies physiques. Six mois après leur entrée en vigueur, une étude Ifop révèle que plus de 6 lecteurs sur 10 déclarent que ces nouveaux frais obligatoires ont eu un impact sur leur pouvoir d’achat, et que 4 acheteurs de livres sur 10 déclarent avoir réduit leurs achats et donc lire moins. Tout cela au bénéfice des libraires ? Pas vraiment. La grande majorité des acheteurs de livres qui se rendent plus souvent en point de vente physique du fait de la hausse des frais de port privilégient plutôt hyper et supermarchés, grandes enseignes culturelles et maisons de la presse (71 %), et seuls 26 % vont dans des librairies indépendantes, et cela surtout en agglomération parisienne.
Il faut encourager la lecture. Soutenir les librairies est un moyen d’y parvenir, encourager l’offre en ligne en est un autre, particulièrement pour les populations résidant en milieu rural et périurbain, d’autant que 75 % des Français ruraux qui achètent des livres en ligne le font en raison de l’éloignement des points de vente physique. Alors que le gouvernement vient de dévoiler un plan destiné à soutenir la lecture, il est temps d’intégrer pleinement le numérique dans les politiques publiques culturelles, au bénéfice des Français, de la diffusion de la culture et du rayonnement de la création française. La culture doit être accessible partout, pas seulement au cœur des villes, et je ne crois pas que la solution soit de demander aux Français de prendre leur voiture pour effectuer leurs achats culturels. Appuyons-nous plutôt sur les atouts du numérique pour apporter aux Français, où qu’ils se trouvent, les livres, les films, la musique et les biens culturels qui leur correspondent.
Le Printemps de la ruralité, la consultation nationale initiée par la ministre de la Culture, est dans ce contexte une forte opportunité pour réaliser enfin cette ambition que nous partageons : renforcer et garantir l’accès à la culture partout sur le territoire, et notamment en milieu rural. Des mesures simples sont à portée de main, comme l’élargissement du Pass culture aux services et à la vente en ligne, ou la révision des frais de port obligatoires sur les livres. Des mesures alternatives de soutien aux librairies existent, qui ne pénaliseraient ni la lecture ni le pouvoir d’achat des Français : par exemple la mise en place d’un tarif postal dédié, qui existe déjà pour les expéditions de livres vers l’étranger : envoyer un livre de 500 grammes à Londres coûte ainsi 1,67 euro, alors que l’envoyer vers une adresse en France coûte quatre fois plus cher, à savoir 6,30 euros.
* Frédéric Duval est directeur général d’Amazon.fr