Déjà dans les années 1990, bell hooks s’intéressait à la question de la santé mentale
bell hooks l’a maintes fois prouvé : que ce soit sur la question des relations hétérosexuelles, de la “masculinité patriarcale” ou encore de l’intersectionnalité des luttes, l’intellectuelle afro-américaine semble avoir toujours eu un coup d’avance, théorisant dès les années 1980-1990 des enjeux qui occupent largement nos débats contemporains. Sororité – Guérir des blessures psychiques infligées par la domination, première traduction française de son essai Sisters of the Yam : Black Women and Self-Recovery, paru en 1994, ne fait pas exception.
Dans ce livre où son style (un savant alliage de pédagogie, de radicalité et de sensibilité bien souvent bouleversante) se reconnaît à chaque page, la militante féministe, décédée en 2021, s’intéresse en effet à un sujet de plus en plus discuté dans la sphère publique : la santé mentale, et plus spécifiquement celle des femmes noires.
Des souffrances psychologiques aiguës
Sous la plume de bell hooks, qui transcende ici la portée des livres de développement personnel dont elle dit s’inspirer, la question devient hautement politique : l’autrice d’Aint I a Woman? Black Women and Feminism (1981) analyse comment le racisme crasse de notre société capitaliste et patriarcale entraîne des souffrances psychologiques aiguës chez les victimes de ces “systèmes de domination”.
“Nous sommes tous·tes blessé·es par la suprématie blanche, par le racisme, par le sexisme et par un système économique capitaliste qui nous condamne collectivement à une position d’infériorité et d’exclusion. Ces blessures ne se manifestent pas seulement de manière tangible : elles affectent aussi notre bien-être psychologique. Nous, personnes noires, sommes blessées dans notre cœur, dans notre esprit, dans notre corps et dans notre force d’âme”, écrit-elle, citant pêle-mêle la sexualisation et l’objectivation constantes des femmes noires, les remarques racistes vis-à-vis de leur peau ou de leurs cheveux, le stress causé par les problèmes financiers ou encore celui lié à des situations professionnelles humiliantes (“Presque toutes les femmes noires ont des histoires à raconter sur des personnes blanches qui continuent à croire que nous sommes leurs ‘domestiques’, quel que soit l’emploi que nous occupons”).
La lutte collective en ligne de mire
Et si les conséquences individuelles d’un tel ordre du monde sont évidentes – “Nous ne recevons pas assez d’amour”, résume-t-elle dans une formule dont la simplicité prend au cœur –, bell hooks souligne comment, par ricochet, celles-ci affaiblissent également les capacités de mobilisation collective visant à “transformer la société” (elle rend cela dit hommage au travail essentiel des militantes féministes noires). Pour l’universitaire, qui a créé des groupes de soutien en non-mixité, Les Sœurs de l’Igname – dont les échanges ont nourri le contenu de ce livre, qui délivre plusieurs conseils –, le choix de la guérison et de la parole (en définitive : de la vie), quand celui-ci est possible, est ainsi un “acte de résistance politique”.
Étant entendu, bien sûr, que “l’accomplissement individuel” ne doit jamais être déconnecté de “la sphère plus vaste de la lutte collective”.
Sororité – Guérir des blessures psychiques infligées par la domination, de bell hooks, traduit de l’anglais (États-Unis) par Pauline Tardieu-Collinet, Louise Cabannes et Leslie Talaga. éd. Payot, 240p, 20€. En librairie le 24 avril.