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Апрель
2024

Dans “Notre monde”, Luàna Bajrami filme une jeunesse kosovare à la soif de liberté empêchée

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Après “La Colline où rugissent les lionnes”, la cinéaste et actrice de 23 ans confirme son talent. Avec ce deuxième long métrage, elle capte les désillusions de deux amies tiraillées entre leurs rêves d’émancipation et la violence d’État.

“Inutile de rêver, l’Occident ne va pas arriver pour tout régler. Ne vous bercez pas d’illusions.” Sur les images d’un vieux caméscope, les mots issus d’un discours politique viennent rompre la joie complice de deux fillettes. Le plan suivant les transforme en deux jeunes femmes de fiction, l’une en rose, l’autre en bleu, code couleur binaire comme pour jouer malicieusement de leurs différences et complémentarité. Nous sommes dans un village reculé du Kosovo, en 2007, pays d’origine de la cinéaste et actrice Luàna Bajrami qui y a vécu jusqu’à ses 7 ans.

Notre monde, son deuxième long métrage, a à peine commencé que déjà les deux amies, âmes sœurs, fomentent leur départ clandestin pour fuir le patriarcat et les mariages qui pleuvent autour d’elles, s’installer en ville, s’inscrire à l’université et peut-être vivre la vie dont elles rêvent. Un trajet narratif vieux comme le monde, source d’un corpus infini,dont Bajrami a la bonne idée de s’emparer sans consentir au fantasme qu’il occasionne, celui d’une libération soudaine et éclatante.

Si le changement de cadre vient offrir aux deux protagonistes un élan de liberté et la découverte fascinée d’un monde inconnu (celui d’étudiant·es en lutte dans une ère chaotique, à l’aube de l’indépendance du pays), Notre monde n’a pas l’euphorie de cette révélation ; il est même, à l’inverse, comme assommé par une gueule de bois généralisée. Celle-ci fait évidemment état d’un pays en pleine transition, mais le film a cette qualité de faire régner à l’intérieur de sa fiction le sentiment d’une fuite permanente (celle des filles d’abord, celle des profs délaissant les bancs de l’université), qui confère à l’ensemble un halo fantomatique, fané comme un vieux souvenir.

La vitalité de la jeunesse que La Colline où rugissent les lionnes (2021), premier long de la cinéaste, reproduisait jusqu’à en singer l’ADN furieux, se trouve ici plus qu’empêchée, détournée de ses envies, prête à regretter, sous le coup de l’autorité et de la violence d’État, ce qu’elle s’était pourtant autorisée à rêver. À Luàna Bajrami d’acter cette vaste désillusion sans admettre la défaite.

À la formule autoritaire du début, la réalisatrice d’à peine 23 ans répond par la négation et offre, dans un ultime plan, un miroir d’elle-même, et l’affirmation de son devenir-cinéaste comme garantie de ce rêve.

Notre monde de Luàna Bajrami, avec Albina Krasniqi, Elsa Mala, Don Shala (Kos., Fr., 2023, 1 h 25). En salle depuis le 24 avril.