Il y a 80 ans, les femmes obtenaient le droit de vote
Au pays des droits de l’homme, les femmes n’ont longtemps pas eu les mêmes droits. La France, qui a instauré en 1848 le suffrage universel… masculin, a attendu la fin de la Seconde Guerre mondiale pour étendre le droit de vote aux femmes alors que Nouvelle-Zélande, la première, l’avait fait dès 1893. « À partir du début du XXe siècle, relève l’historienne Anne-Sarah Bouglé Moalic, nombre de pays ont accordé le droit de vote aux femmes à des moments clés de leur histoire. Pour la Finlande, par exemple, ce fut en 1906. Le pays, porté par un sentiment d’identité nationale, avait, dans le cadre de l’autonomie que lui accordait la Russie, créé un parlement monocaméral élu au suffrage universel sans restriction, si ce n’est d’âge. En France, la chambre des députés y était depuis longtemps favorable. En 1919, une proposition de loi en ce sens avait été déposée. Mais les sénateurs, soit par vote, soit simplement par inertie, ont bloqué l’élargissement du corps électoral. Il y avait les fantasmes associés aux femmes, mais aussi le souvenir du coup d’État en 1851 de Louis Napoléon Bonaparte dont l’arrivée au pouvoir a été facilitée par le suffrage universel instauré en 1848. »
"Un militantisme aussi actif qu’ancien"« L’ordonnance de 1944, poursuit la chercheuse associée à l’université de Caen Normandie, résulte de longs débats au sein de l’Assemblée consultative provisoire instituée par une ordonnance datée du 17 septembre 1943. Leur rôle au sein de la résistance, les changements de mentalités et, surtout, un militantisme aussi actif qu’ancien ont abouti à ce que soit reconnu aux femmes, le 21 avril 1944, le droit de vote. »
Ce droit, les femmes l’ont exercé dès le 29 avril 1945 à l’occasion d‘élections municipales. « Ce fut un vote massif, note l’historienne. Et même si, dans l’immédiat après-guerre, elles votaient un peu moins que les hommes, comme elles représentaient 53 % du corps électoral, leurs bulletins pesaient presque autant. L’écart de participation, de 12 % dans les années de 1950, s’est réduit depuis jusqu’à être insignifiant. »
Mais déjà une question, matinée de phallocratisme recuit, surgit : les femmes votent-elles comme les hommes ou comme « leur » homme?? « Les milieux sociaux, évacue l’historienne, conditionnent largement la constitution des couples. La probabilité qu’une ouvrière vote comme son mari ouvrier est ainsi très forte. De même, au sein de la bourgeoisie, la propension à voter conservateur est vraisemblablement la même d’un sexe à l’autre. Et il y a tant de variables : l’âge, la religion, le lieu d’habitation… »
Vote extêmeLe vote féminin, toutefois, s‘est longtemps refusé aux extrêmes. « Leur inclination à voter un peu plus conservateur que les hommes, pour le MRP (Mouvement républicain populaire), la droite sociale de l’époque en l’occurrence, s’explique en partie par la pyramide des âges. Beaucoup d’hommes ayant perdu la vie pendant la Deuxième Guerre mondiale, les femmes âgées étaient plus nombreuses que les hommes du même âge. À partir des années 1980, leur vote s’est déplacé de quelques points vers la gauche. Et, aujourd’hui, elles aussi se laissent séduire par le vote extrémiste si ce n’est qu’au second tour, leurs réticences initiales sont plus présentes que chez les hommes. »
Et les électrices sont devenues des élues en dépit des réserves des hommes, mais aussi des femmes : « La loi du 6 juin 2000 en rendant l’égalité obligatoire des candidatures hommes et femmes pour les scrutins de liste a accéléré le processus même si des partis continuent à payer des amendes, souvent parce que leurs élus, notamment plus anciens, s’accrochent à leur poste… » « Puisse, espère l’historienne, ce 80e anniversaire, rappeler le long combat que les femmes ont dû mener pour appartenir à la République et le devoir qui nous est ainsi fait, aux femmes comme aux hommes, d’aller voter. » Les élections européennes du 9 juin en sont l’occasion…
Jérôme Pilleyre
Lire. Anne-Sarah Moalic, La marche des citoyennes, Éditions du Cerf, 2021, 20 euros.