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Апрель
2024

Missiles sur Damas, humanitaires tués : Israël a-t-elle basculé dans une surenchère "délirante et incompréhensible" ?

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Deux attaques distinctes, sur deux théâtres différents, mais un socle commun, qui traduit la bascule d’Israël dans une surenchère belliqueuse « délirante et incompréhensible ». Selon Agnès Levallois, vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO), également chargée de cours à Sciences Po Paris, les frappes qui ont ciblé Damas et Gaza, ce 1er avril, à quelques heures d’intervalle, signent l’une et l’autre la « fuite en avant insensée » de Benyamin Netanyahu, après bientôt sept mois de guerre.

Dans la capitale syrienne, c’est le consulat d’Iran qui a été détruit par des missiles. Bilan : au moins treize morts. Et parmi eux, sept membres du corps des Gardiens de la Révolution (dont deux généraux), bras armés d’un régime honni par l’Etat hébreu.

« Qu’Israël frappe la Syrie pour y détruire toutes les infrastructures iraniennes, ce n’est pas nouveau, cela arrive presque tous les jours désormais, souligne Agnès Levallois. Mais cette fois, elle n’a pas hésité à s’en prendre à une représentation diplomatique, pourtant “inviolable” selon le droit international. En termes de symbole et d’impact, on change complètement d’échelle. C’est la preuve qu’Israël s’affranchit de toutes les règles et ne respecte rien. »

« Plus rien n'arrête Netanyahu »

Au point de prendre le risque d’une confrontation directe avec Téhéran ? « Cela paraît totalement dingue, mais je crois qu’il faut désormais se poser la question. C’est comme si le massacre du 7-Octobre et le traumatisme qui a suivi avaient donné à Israël le permis de faire ce qu’elle veut, où elle veut, quand elle veut, sans considération d’aucune sorte. »

"Cette stratégie ne rime à rien. A moins de considérer que la folie s’est emparée de l’armée et des responsables politiques..."

L’experte retient aussi la responsabilité entière des Israéliens dans la frappe – « non intentionnelle », selon le gouvernement – qui a tué sept collaborateurs (*) de World Central Kitchen. Alors qu’ils venaient de livrer des dizaines de tonnes d’aide alimentaire à Gaza, leurs véhicules blindés et siglés du logo de l’ONG ont été pulvérisés.

« On est là aussi dans le “sans limite”, dans l’impunité totale, tranche-t-elle. Netanyahu montre que plus rien ne l’arrête, qu’il se moque des conséquences et qu’il est prêt à tout pour montrer qu’il est le plus fort. Il sait que malgré les récentes tensions avec Biden, les Etats-Unis ne le lâcheront pas. Or, c’est pour lui le seul allié qui compte vraiment. Le reste, il s'en fiche. »

« Un risque conscient et calculé »

Autre spécialiste, autre regard. Codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la Fondation Jean-Jaurès, David Khalfa se refuse lui à dresser un parallèle entre les deux raids meurtriers de lundi.

Les missiles sur Damas ne sont selon lui « qu’une étape de plus dans une guerre de l’ombre qui dure depuis plusieurs décennies déjà, et qui s’est encore intensifiée depuis le 7-Octobre. Les Israéliens ont pris un risque que j’estime conscient et savamment calculé, afin d’envoyer un message de fermeté aux Iraniens. L’idée, en gros, est de dire : ”Nous ne nous contenterons plus de frapper seulement les tentacules, nous allons désormais frapper la tête”. »

Mais alors que Téhéran a promis une « riposte sévère », David Khalfa nuance : « La République islamique a déjà agité cette menace dans un passé récent, et sa rhétorique de vengeance n’a pas trouvé de traduction concrète, en tout cas à ce stade. En réalité, ses moyens seraient limités face à Israël et aux Etats-Unis. »

Le spécialiste juge en revanche que la mort des humanitaires de World Central Kitchen relève « du tragique et des bavures malheureusement inhérents à toute guerre en milieu urbain, surtout face à un adversaire qui n’hésite pas à utiliser des infrastructures civiles ou médicales pour acheminer armes et combattants ».

Tout en s’interrogeant sur « les défaillances dans le renseignement et dans la chaîne de commandement qui ont pu rendre cette erreur possible », David Khalfa ne croit pas à un acte volontaire. « Israël, dit-il, n’y aurait aucun intérêt, bien au contraire. Un drame comme celui-là écorne sérieusement son image, lui fait perdre du soutien à l’international et va inévitablement être instrumentalisé par le Hamas pour l’affaiblir. » 

Stéphane Barnoin

(*) Les victimes sont de nationalités australienne, britannique, polonaise, américano-canadienne et palestinienne.