A Montferrand, Denis coiffe ses clients depuis soixante ans !
L’homme est né à Aurillac, d’un père vosgien et d’une mère cantalienne, mais il est arrivé à Montferrand quand il n’avait pas un an. Son père, déjà coiffeur, avait acheté le petit salon de la rue du Ressort à un Espagnol en 1946. « En fait, je suis bien plus Montferrandais que Cantalou. Un vrai Mulet blanc ! (*) ».Montferrand et la rue du Ressort, c’est son royaume, et le salon de coiffure son palais : « J’y suis depuis près de 80 ans. J’y ai appris le métier avec mon père, et je n’ai jamais eu envie de partir ! »Alors la rue du Ressort, il en est la mémoire vivante. « J’étais à l’école Michelet, jusqu’au certificat d’études. Mon père coupait les cheveux des militaires des Gravanches, des ouvriers Michelin et des cheminots. Un salon pour hommes où se sont succédé quatre générations ».
Fidèles à l’ASMÉvidemment, tout était différent : « Il y avait la Tiretaine, qui passait à ciel ouvert juste devant le salon, des petites maisons de militaires, et bien sûr, le CHU Estaing n’existait pas. Michelin occupait le terrain. Et surtout, il y avait Montferrand. Un village à côté de Clermont. Tout le monde se connaissait et tout le monde supportait l’ASM où les joueurs étaient des gars du coin. Alors pour chaque match à l’extérieur, on avait trois ou quatre voitures de copains qui attendaient sur la place de la Rodade, et on partait à Toulouse, à Béziers, à Perpignan… et quand on jouait au Michelin, on était toujours là, dans les tribunes en bois ».
Maudit CovidAlors évidemment, presque quatre-vingts ans après être arrivé rue du Ressort, Denis connaît tout le monde et son salon servait autant à discuter qu’à faire des coupes : « Il n’y avait pas de rendez-vous. Les gens arrivaient et même s’il y avait quatre ou cinq personnes devant eux, ils attendaient, et ça discutait. Et moi, j’adore ça. Et tout le monde aimait ça, et ça aurait continué… s’il n’y avait pas eu le Covid ».« Cette épidémie a tout changé. Plus possible d’être en groupe dans le salon. Les clients se sont mis à prendre des rendez-vous. Pour moi, c’était nouveau. Et le problème, c’est que le pli a été pris. Quand la maladie s’est arrêtée, les rendez-vous sont restés. L’habitude était prise, et tout a changé ».Qu’importe, les gens continuent à venir, parce que chez Denis, ça reste bien plus qu’un salon de coiffure. Et Denis de prendre son client à témoin : « Celui-là, il a quelques années de plus que moi, mais on était tous les deux à l’Amicale laïque montferrandaise, dans l’équipe de basket. J’y suis resté de mes 10 ans jusqu’à 35 ans environ. J’ai donc arrêté… il y a à peu près quarante ans, mais il y a des choses qui restent. La plupart des gars continuent à venir. Et même s’il y en a un qui a besoin d’être coiffé un dimanche, ça n’est pas un problème ».
13 € la coupe... depuis vingt-deux ansLe problème, c’est qu’ils sont de plus en plus nombreux à manquer à l’appel : « Je suis un peu devenu un bureau de renseignement, j’annonce les maladies, et parfois les morts. Heureusement, il me reste des jeunes », explique-t-il sans préciser à quel âge se termine pour lui la jeunesse. Mais en tout cas, à 73 ans, Denis ne se sent pas vieux : « J’ai pris ma retraite à l’âge où j’y ai eu droit. À 60 ans, il y a treize ans, mais je n’ai rien changé. Pas question d’arrêter. J’aime ce métier. J’aime cette ambiance. Qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ? Je n’ai jamais fermé le salon plus de huit jours. Jamais d’arrêt maladie. Je ne prends pas de vacances. Partir ailleurs ? Pour quoi faire ? Me retrouver seul dans un coin que je ne connais pas ! Non, je continuerai tant que je pourrais à faire mes coupes à 13 €, même si je ne fais plus 35 clients par jour ! ».
Melrose Barber, de Dubaï à Clermont
13 €. C’est le prix qu’il avait marqué sur ses cartes de visite en 2002 lors du passage à l’euro. « Je n’ai jamais changé de tarif. À mon âge, je ne fais pas ça pour l’argent. Ciseaux et cheveux, et rien d’autre ? « Si quand même. J’ai repris ma carte de pêche. Moi, c’est les brochets, les sandres… » Et les merlans ? Pas besoin. Ça, il le fait très bien et sans doute encore pour de longues années.
Arnaud Vernet(*) Les Montferrandais s’appellent en eux les “Mulets blancs” depuis 1814, quand à l’occasion du passage de la duchesse d’Angoulême, fille aînée du roi Louis XVI et seule survivante de la famille royale, 80 jeunes Montferrandais en habits blancs détellent les chevaux et tirent son carrosse jusqu’à Clermont en signe de respect.