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Февраль
2024

Agroalimentaire, textile, avions… Les médicaments anti-obésité vont-ils bouleverser l’économie ?

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Dans l’univers impitoyable de la Bourse, une simple déclaration peut parfois provoquer l’effet d’une bombe. Coca-Cola, PepsiCo, Mondelez ou encore Nestlé en ont fait les frais le 4 octobre 2023, lorsque le PDG de Walmart, leader mondial de la grande distribution, a déclaré que ses clients prenant des médicaments anti-obésité consommaient moins de nourriture, en particulier les produits les plus caloriques, chasse gardée de ces multinationales. Il n’en fallait pas moins pour que le cours de leurs actions déraille.

La menace est prise très au sérieux outre-Atlantique et émerge en Europe. A raison : la proportion de personnes obèses avoisinerait les 40 % aux Etats-Unis, et environ 17 % sur le Vieux Continent. L’apparition de traitements contre cette maladie, jugés très prometteurs, pourrait constituer une petite révolution à la fois sociale et économique. Depuis leur arrivée sur le marché, les publications d’analystes anticipant des bouleversements se multiplient. Il y aurait, comme souvent, des gagnants et des perdants. Le textile pourrait bien profiter de cette cure d’amaigrissement généralisée. Une ou plusieurs tailles en moins, c’est une nouvelle garde-robe pour les 25 millions d’Américains qui pourraient opter pour les analogues du GLP-1 - l’hormone qui augmente la sensation de satiété - d’ici à 2035, selon les prévisions de Morgan Stanley. "Il va y avoir un changement, certes pas radical, mais progressif dans ce secteur", confirme John Plassard, spécialiste en investissement chez Mirabaud.

Des conséquences déjà concrètes

Dans l’aviation, des voyageurs plus légers pourraient permettre de consommer moins de carburant, principal poste de dépenses des compagnies aériennes. "Samoa Air avait par exemple commencé à faire payer le prix du billet en fonction du poids des passagers et de leurs bagages. L’industrie du transport aérien est très consciente de la situation, mais il est très difficile de dire à ce stade si cela constituera un tournant majeur", estime John Cawley, économiste de la santé à l’université Cornell. Plus naturellement, les systèmes de santé se verraient déchargés d’une part conséquente de leurs dépenses. "Quand une personne en situation d’obésité perd 20 % de son poids, cela se traduit par des économies de soins d’environ 1 000 dollars par an. En cas d’obésité morbide, elles sont encore plus importantes", a calculé le spécialiste avec ses équipes.

Inversement, certains domaines commencent déjà à sentir les répercussions de la déferlante des coupe-faim. Les spécialistes de l’amaigrissement comme Weight Watchers, Medifast ou encore Jenny Craig "se retrouvent en difficulté. Maintenant qu’il est possible de prendre un médicament et de perdre du poids, il y aura beaucoup moins de demande pour leurs services. Les opérations de chirurgie bariatrique pourraient aussi devenir moins fréquentes, parce qu’il existe maintenant une autre façon de perdre jusqu’à 20 % de son poids", souligne John Cawley.

Un impact à relativiser sur le court terme ?

Et puis il y a l’agroalimentaire. Dans une étude menée sur trois mois, Goldman Sachs a montré qu’une cohorte d’utilisateurs américains de GLP-1 ont réduit leurs achats de chips, de snacks et autres crackers de 23 à 25 % par rapport à un consommateur classique. "Nestlé et Danone ne vont pas s’effondrer en Bourse. En revanche, cela accélérera la transition vers des produits plus sains. Les gros industriels sont en mesure de faire évoluer leur offre rapidement grâce à leurs capacités d’investissement", anticipe John Plassard. "Ne minimisons pas la capacité des géants de la distribution à fournir les aliments que vous voudrez manger demain. Si tout le monde se met à consommer des yaourts protéinés, ils s’adapteront, et vous en trouverez dans tous les rayons en grande quantité. Ce sont des groupes au pouvoir de prescription important. S’il existe une demande, il y aura les produits", ajoute Nicolas Picard, responsable du pôle santé chez CPR Asset Management (CPRAM).

L’impact à court terme pourrait néanmoins s’avérer relatif. Aujourd’hui, les médicaments anti-obésité sont très chers, et les deux seuls laboratoires les produisant - Novo Nordisk et Eli Lilly - n’ont pas encore les infrastructures pour répondre à la demande. "Cela ne va pas bouleverser la consommation des ménages pour le moment. Mais s’il y avait une massification de ces traitements, on pourrait imaginer des conséquences plus importantes", juge Bastien Drut, responsable de la stratégie et de la recherche économique chez CPRAM. De nouvelles entreprises pharmaceutiques vont se lancer dans la course, mais d’ici là la croissance du nombre de patients pourrait rester limitée. "Pour que la tendance se poursuive, il faudra que davantage d’assureurs prennent en charge ces médicaments, notamment aux Etats-Unis", complète Steen Jakobsen, directeur de l’investissement chez Saxo Bank. Un autre sujet brûlant de l’autre côté de l’Atlantique.