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Февраль
2024

Sénégal : la lente dérive autoritaire du président Macky Sall

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Le rendez-vous était fixé à 15 heures ce mardi 13 février, au rond-point Jet d’Eau, en plein cœur de Dakar. À l’appel de représentants de la société civile (universitaires, imams, syndicats…), une grande marche "silencieuse et pacifique" devait se tenir, pour protester contre le report de l’élection présidentielle de février à décembre, annoncée par le président Macky Sall. Elle n’aura pas lieu. Car tôt dans la matinée, les autorités l’ont interdite. Dans la foulée, le signal de l’Internet mobile a également été coupé, pour la deuxième fois en l’espace de 10 jours, pour endiguer la contestation.

Pour symboliser cette censure, les membres du collectif de la société civile à l’initiative de cette mobilisation avortée, Arr Sunu Elections (NDLR, "Protégeons notre élection", en wolof) ont donc décidé d’apparaître un bâillon rouge autour du cou et les poings liés lors d’une conférence de presse mardi. "Nos libertés sont bâillonnées, dénoncent-ils. Et toutes les stratégies qui visent à reporter l’élection présidentielle de dix mois cherchent à ôter la souveraineté du peuple sénégalais". Avant d’ajouter que l’organisation d’une marche dans les rues de Dakar ne nécessite pas d’autorisation, mais une simple déclaration. De fait, Dakar est resté paisible mardi, quadrillé par des dizaines de blindés de gendarmerie et des forces de l’ordre lourdement équipées.

"De plus en plus en plus de violences"

Depuis l’annonce du report de l’élection présidentielle par Macky Sall, les mobilisations sont systématiquement interdites. Et lorsqu’elles se déroulent malgré tout, elles sont réprimées, dispersées par des gaz lacrymogènes. Ce vendredi 9 février, trois jeunes hommes, âgés de 16, 22 et 23 ans, sont morts par balle. L’ONG Human Rights Watch (HCR), décompte également 60 blessés, au moins 271 personnes arrêtées, et des journalistes agressés. "C’est très inquiétant, le régime en place se soucie de moins en moins des libertés et s’adonne à de plus en plus de violences", déplore Adjaratou Wakha Aidara, directrice exécutive de l’ONG Partners of Africa. Ce basculement dans la violence n’est pas nouveau. En mars 2021 et juin 2023, lors des manifestations meurtrières qu’avait connu le pays, le HCR avait déjà documenté "le recours excessif à la force par des forces de sécurité sénégalaises, notamment des tirs à balles réelles et l’usage abusif de gaz lacrymogène", pour disperser les manifestants, et recensé au moins 37 morts.

A l’heure actuelle, le collectif des familles de détenus politiques estime à 1 500 le nombre d’opposants écroués depuis 2021, en attente de jugement. "Aujourd’hui, au Sénégal, si tu vas manifester, tu risques la prison, si tu fais un post Facebook contre le gouvernement, tu risques la prison, si tu diffuses des images de violences policières, tu risques la prison", a dénoncé Souleymane Ndjim, membre du collectif, lors d’une conférence de presse ce mercredi 14 février, fustigeant un "régime autoritaire qui ne dit pas son nom".

Autocensure

Et alors que Macky Sall et son gouvernement seraient en passe de proposer un projet de loi d’amnistie concernant au moins 500 de ces prisonniers, pour, dit-on, "apaiser les tensions", leurs familles le rejettent en bloc. "L’Etat a toujours refusé de reconnaître l’existence de détenus politiques, or ces récentes déclarations prouvent qu’ils existaient bien", s’agace Sayda Ndeye Diop, mère d’un jeune homme, détenu depuis huit mois à Rebeuss, la prison centrale de Dakar. "Nous refusons qu’ils soient une monnaie d’échange politique. Nos enfants doivent être jugés au plus vite car ils sont innocents", ajoute-t-elle.

Outre les militants, des députés et anciens ministres de la République ont, eux aussi, été arrêtés lors des dernières manifestations. "Ils m’ont retenue des heures à la gendarmerie, puis m’ont relâchée sans même me questionner", raconte à L’Express Aminata Touré, ex-Première ministre sous Macky Sall et désormais membre de la coalition d’opposition. "Le Sénégal est en régression, nous vivons des heures sombres comme nous n’en avons jamais connues auparavant", déplore-t-elle.

Face à cette salve d’arrestations, aux menaces subies par les journalistes et à la suspension d’une chaîne de télévision (WALF TV, pendant 8 jours), certains analystes préfèrent s’exprimer sous couvert de l’anonymat. "Depuis quelques années, on note clairement une régression démocratique sur fond de crise politique, que l’on peut aussi qualifier de ‘dérive autoritaire’", confie un chercheur spécialiste des questions de sécurité. "Il est difficile de tenir cette posture de façon publique et ouverte, sans se faire taper sur les doigts. Cela pourrait avoir des conséquences sur l’organisme avec lequel je travaille", poursuit-il. Au Sénégal, un régime pourtant salué comme étant le "phare démocratique" de l’Afrique de l’Ouest, les signes d’un durcissement politique sont de plus en plus probants. Une nouvelle mobilisation d’ampleur est attendue samedi. "Qu’elle soit autorisée par les autorités ou non", ont prévenu les organisateurs.