Rentabilité, fonctionnement, avenir : la difficile réalité économique de cinémas ruraux à la peine
C’est une mécanique bien huilée, et un investissement quotidien. Pour les bénévoles du cinéma associatif de Noirétable, programmer deux films par semaine lors de cinq séances, et ce toute l’année, relève d’une organisation militaire. Que ce soit pour les films ou les comptes. Des comptes, qui aujourd’hui ont du mal à être dans le vert.
1. Qui sont-ils ?Une trentaine de bénévoles structure le cinéma de Noirétable, ce qui permet, déjà, de créer une quinzaine de binômes, pour gérer les projections et les entrées. Soit une projection par mois par binôme. Ça, c’est pour le moment de la séance. Les autres tâches se répartissent. Trois bénévoles sont en charge du choix des films. Un autre fait l’affiche de présentation des séances de la semaine. "Et moi je vais l’imprimer à la maison, on ne paie que le papier", sourit Michel Muron, le président.
Derrière, une autre personne se charge de distribuer ou d’envoyer par la poste les 55 affiches aux dépositaires (surtout les commerces, à Noirétable, Saint-Just-en-Chevalet, Celles-sur-Durolle, Crémeaux ou encore Viscomtat…). Du côté d’internet, il faut aussi gérer la page Facebook et le site internet sur lesquels on retrouve les séances de la semaine. Enfin, Michel prépare les bandes-annonces des films qui vont suivre lors des projections.
2. L’obtention des filmsL’association passe par un organisme, VEO, pour obtenir l’exploitation des films, environ un mois avant leur diffusion à Noirétable. VEO se retourne alors vers les producteurs. "Des films en première ou en seconde semaine, les petits cinémas ruraux n’en ont jamais. C’est souvent en troisième semaine qu’ils arrivent", explique Brigitte Pilonchéry, la trésorière. En somme, ce n’est pas parce que Spielberg réalise le film qu’il ne peut pas être à Noirétable. "Et pour les avoir en avant-première, il faut les reprogrammer ensuite un certain nombre de fois dans l’année."
Et comme ce n’est pas "évident de choisir les films", souvent, c’est VEO qui aiguille les bénévoles, qui peuvent aussi se fier aux premiers retours des premières semaines. Le film est ensuite reçu par internet, avec une clé d’autorisation qui permet de déverrouiller le film, sur une certaine durée.
3. Quels coûts de fonctionnement ?Les producteurs récupèrent 50 % des entrées, "45 % quand c’est un film un peu moins récent." VEO amasse, lui, 3 % des entrées. Derrière, il reste environ 10 % de taxes liées à l’industrie du cinéma. Au final, pour une entrée à 6 €, l’association conserve entre 2 et 2,50 €.
Certains films nous demandent un minimum de garanties, parfois 150 €. Si on ne fait que 10 entrées, on doit quand même 150 €.
"Ensuite, il y a la maintenance de la caisse, l’électricité…", soupire Brigitte. Obligeant la structure à moins consommer, à "bricoler pour faire des économies".
4. Quelle rentabilité ?La dernière année où l’équilibre financier a été respecté, c’était en 2019, avec 10.954 entrées. En 2022, les 7.920 entrées n’ont pu empêcher un déficit de près de 6.500 €. Pour 2023, si les comptes ne sont pas arrêtés, difficile de croire que l’exercice sera positif, malgré mille entrées en plus (8.930).
5. Quel avenir en conséquence ?Comme une entreprise, chaque année on fait des provisions. Le problème c’est qu’a force de ne plus en faire et de pomper dans les réserves, on finira par tout absorber, et on s’éteindra…
Le constat de Brigitte, est amer, mais lucide. À quel horizon cela pourrait-il arriver ? "Trois ou quatre ans…". Terrible pour un cinéma qui doit fêter son centenaire en 2026. "Ça fait un moment qu’on se bat, peste Brigitte. Mais que faut-il faire ? Les gens du pays ne viennent pas. Heureusement qu’on a quelques personnes du Puy-de-Dôme."
6. Les initiatives pour dynamiserLes bénévoles du cinéma de Noirétable ne se contentent pas de mettre en place de "simples" projections, mais œuvrent à dynamiser l’offre lors de journées ou soirées spéciales, en multipliant les partenariats.
"Notre première arme c’est la carte d’abonnement qui donne lieu à une entrée à 5 €. Elle n’est ni nominative, ni limitative. Une famille peut venir et passer ses cinq entrées sur la carte", précise Michel.
Si l’équipe aimerait développer les séances le vendredi après-midi pour répondre à une certaine demande, elle a déjà mis en place le ciné-senior, un vendredi par trimestre, avec les maisons de retraite, mais aussi le ciné-goûter, ouvert à tous, et prisé par les centres de loisir. Des soirées spéciales ont également été mises en place (dégustation de vins, deux films projetés de Miyazaki avec soupe miso, produits locaux en dégustation lors d’un film sur l’agriculture…). "Il faut trouver des idées, innover, pour le moment les soirées fonctionnent. Ça donne du baume au cœur", terminent les cinéphiles.
Alexandre Chazeau