De passage à Brioude, cette réalisatrice signe un documentaire sur le devenir des cahiers de doléances de 2019
Que sont devenus les milliers de cahiers de doléances remplis dans tout le pays à l’occasion du Grand Débat ouvert par le gouvernement lors de la crise des Gilets jaunes ? La réponse sera donnée ce vendredi soir, au cinéma le Paris de Brioude à l’occasion de la diffusion du documentaire Les Doléances. Une projection en présence de Fabrice Dalongeville, maire d’Auger-Saint-Vincent (Oise), personnage central du film, et de la réalisatrice lilloise Hélène Desplanques. Cette dernière a accepté de répondre à quelques questions en amont de la projection.
Comment est née l’idée de ce documentaire ?
On a parlé pendant trois mois du Grand Débat national. Je me suis ensuite demandé ce qu’étaient devenus ces textes. J’ai trouvé Fabrice lors de recherches sur Internet. J’ai passé une journée dans son village de l’Oise. Il fait partie de l’AMRF (Association des maires ruraux de France), comme Christophe Bedrossian, qui organise la projection de vendredi. C’est l’association qui, la première, avait lancé l’idée des cahiers de doléances en 2018. Une idée qui est ensuite remontée au gouvernement. Fabrice m’a montré les photocopies du cahier de sa commune. Il y avait une quinzaine de propositions, dont des choses structurées, des récits de vie… J’ai ensuite consulté de nombreux cahiers, des milliers de propositions.
Plus j’avançais dans cette quête, plus je me disais qu’il fallait les rendre à l’espace public. Il y a une grande créativité, une grande sensibilité. On voit que des gens ont passé des heures sur leurs textes. Des propositions pour le vivre ensemble, pour une vie plus égalitaire.
Je me suis dit qu’il ne fallait pas les laisser prendre la poussière. Mon métier, depuis vingt ans, c’est réaliser des documentaires. J’ai demandé à Fabrice de prendre sa voiture et nous sommes partis à la rencontre de contributeurs.
Une matière exceptionnelleOù sont ces cahiers de doléances ?
Personne ne se souvenait où ils étaient quand j’ai commencé. Ils sont dans les archives départementales. J’y ai été très bien accueillie à chaque fois. On peut les consulter librement et les prendre en photo. Ce que j’ai fait.
Projection.?Le documentaire Les Doléances, d’Hélène Desplanques, sera projeté au cinéma le Paris de Brioude, vendredi 16 février à 20 heures (participation libre) en présence de la réalisatrice et de Fabrice Dalongeville. Le lendemain, samedi 17, une autre projection rencontre est organisée à 20 heures, au cinéma Le Rio, à Clermont-Ferrand. Deux rendez-vous proposés par Regain productions.
Comment avez-vous retrouvé les contributeurs ?
Je me suis attelé à trouver ceux qui avaient signé leurs contributions. C’est une façon de faire vivre notre démocratie. De prendre ma part. Et de rendre aux gens ce qu’ils ont donné à cette démocratie. Il y avait une vraie confiance en ce processus. Il y a eu quelque 20.000 cahiers de doléances. Près de 250.000 contributions. Et on arrive à environ 2 millions avec celles déposées via Internet. On se bat avec Fabrice Dalongeville pour que la promesse gouvernementale soit tenue jusqu’au bout : à l’époque, le ministre chargé des collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, avait dit " nous créerons une plateforme open source. " C’est une production du peuple français, il est logique qu’il en soit propriétaire.
Et elle n’existe pas ?
On demande que cinq ans après ce processus de consultation, on le fasse. Non seulement c’est important symboliquement de créer cette plateforme, mais en plus ce corpus est une réelle richesse. Pour plein d’organismes, vous pourriez taper votre département, le sujet (fiscalité, jusqu’ici sociale, environnement…).
On n’a jamais eu accès à un corpus aussi grand d’avis du peuple français. C’est vraiment un trésor national.
Mais ce corpus est très varié, comment en extraire les propositions les plus fréquentes ?
Un consultant intervient dans le documentaire. Il a eu accès à la matière complète et en a synthétisé une grande partie via l’intelligence artificielle. Il a pu lister 700 propositions directement issues du grand débat dont 100 qui ont des fréquences élevées. On peut déjà réfléchir à ça. Et contrairement à un sondage, il n’y a pas de biais.
Une participation très variéePourtant, ces cahiers de doléances sont beaucoup associés au mouvement des Gilets jaunes, qui ne rassemblait pas tout le monde ?
Le film fait tomber cet a priori. Deux départements, la Gironde et la Creuse, ont fait des analyses fines des propositions, par des citoyens et des chercheurs. Et s’il y a une surreprésentation des retraités, il n’y a pas de surreprésentation des Gilets jaunes. Il ne faut pas oublier qu’une partie de ceux-ci étaient contre ce processus lancé par le gouvernement. Dans ce que j’ai lu, il y a beaucoup de gens qui disaient " je ne suis pas Gilets jaunes mais… ". On voyait aussi dans la graphie qu’il y avait toutes les classes sociales, des familles, des mamans célibataires.
On ne peut donc pas dire que ce sont des cahiers des Gilets jaunes. Je suis contre cette expression.
Comment se déroule le documentaire ?
Fabrice va à la rencontre d’auteurs de doléances pour discuter de leur texte avec eux. Puis, il va porter la cause auprès de députés. On croise aussi des collectifs de citoyens qui se sont organisés pour dépouiller les cahiers de leur département. Le film a été tourné entre les Hauts-de-France, la Creuse, la Meuse, la Gironde et Paris.
Combien de temps vous a pris la réalisation de ce documentaire ?
Je m’intéresse à la question depuis trois ans. Mais il m’a fallu deux ans pour faire ce film ; six mois de tournage et plusieurs mois de postproduction.
Vous participez à beaucoup de projections ?
Il y a un désir de Fabrice et moi de poursuivre le débat à travers ces projections. On trouve que le Grand Débat a été avorté. Notre démarche est de redonner la parole aux citoyens. Qu’ils puissent s’exprimer ou pas sur la démocratie. Tout le monde est touché. Ces textes-là sont des symboles.
Le documentaire est sorti il y a peu ?
Le film a été mis en ligne jeudi dernier. On a fait beaucoup de projections avant. Et on a constaté qu’il y a une amnésie qui questionne les gens. C’est un peu tombé dans l’oubli. Depuis les projections et la sortie, Fabrice a reçu énormément de courriers. Il y a une demande de la société. La diffusion a eu lieu sur plusieurs France 3 région et une est prévue à l’Assemblée nationale le 13 mars. S’il est présenté si vite à Brioude, il faut le mettre au crédit de Christophe Bédrossian ; on s’est eu très tôt au téléphone. Et on voulait avant tout être là où le film résonne.
Propos recueillis par Pierre Hébrard