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Февраль
2024

Fait religieux en entreprise : le malaise des managers

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66 % des salariés constatent des faits religieux dans leur environnement de travail mais seuls 45 % des encadrants estiment avoir une connaissance satisfaisante des règles de droit et des lignes directrices de l’entreprise sur le sujet (Institut Montaigne, baromètre du fait religieux en entreprise 2022-2023). Une certaine ignorance des managers les contraint à se positionner entre le "il est interdit de…" et "faites comme bon vous semble". Ainsi, dans le secteur public (ou les délégations de service public) il est interdit de porter un vêtement religieux au travail ou de se parer d’un objet religieux visible. Le principe de laïcité et l’obligation de neutralité s’appliquent. Dans le secteur privé au contraire, l’entreprise "ne peut pas interdire au salarié de pratiquer sa religion de manière générale et absolue", rappelle l’Institut Montaigne. "La liberté religieuse est une liberté fondamentale consacrée par la Constitution de 1958 et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (article 9)", explique Olivia Guilhot, avocate associée du cabinet Voltaire. "Dans le secteur privé, c’est le respect des libertés individuelles qui prévaut. Le port d’un signe religieux (kippa, voile, croix) est donc autorisé", poursuit Lucy de Noblet, directrice du cabinet InAgora, conseil et formation sur la gestion de la laïcité et du fait religieux.

La liberté religieuse suppose que les salariés puissent manifester librement leurs croyances et donc porter des signes ostensibles. L’employeur ne peut jamais prendre en compte la religion dans une décision de licenciement ou de refus d’embauche : il s’agit d’un motif discriminatoire prohibé - comme le sexe ou une opinion politique (art.1132-1 du Code du travail). "Un licenciement fondé sur le refus par un salarié de retirer un signe religieux encourt la nullité, explique Me Guilhot. Sauf justifications objectives comme, par exemple, des raisons d’hygiène et de sécurité qui imposent le port d’une tenue incompatible avec un signe religieux (casque, tenue stérile)." Ainsi, dans la restauration, l’obligation de porter des manches courtes restreint la liberté religieuse des personnes qui souhaiteraient se couvrir les bras.

La neutralité dans le règlement intérieur

Un employeur ne peut pas non plus interdire un vêtement religieux au motif que cela poserait un problème à l’image de son entreprise. Le licenciement d’une salariée refusant de retirer son voile lorsqu’elle est en contact avec la clientèle est jugé discriminatoire en l’absence de clause de neutralité dans le règlement intérieur (arrêt Camaïeu, 2021). "L’attente prétendue des clients sur l’apparence physique d’une vendeuse n’est pas une justification admise par la Cour de Cassation", souligne Me Guilhot. Selon Lucy de Noblet, "si les entreprises souhaitent limiter les habits ou les signes religieux, elles peuvent mettre en place une clause de neutralité qui doit figurer dans le règlement intérieur. Mais cette clause est circonscrite au contact avec la clientèle. Une personne qui travaille à la comptabilité, par exemple, n’y est pas soumise." L’employeur peut, en revanche, sanctionner l’abus et le prosélytisme. "Mais en dehors des horaires de travail, pendant la pause déjeuner ou à la machine à café, il existe une liberté d’expression à peu près totale. Celle-ci ne saurait toutefois se transformer en pression. Si des salariés se plaignent au manager, il est dans son rôle en vérifiant les faits et en demandant à la personne à l’origine de cette pression de cesser", complète l’experte. "L’employeur peut sanctionner un comportement abusif, mais attention : ce n’est pas l’expression d’une croyance religieuse qui est sanctionnée mais les conséquences de l’attitude du salarié qui a créé un trouble dans l’entreprise", analyse Olivia Guilhot.

Compliqué ? Les managers ressentent parfois un malaise sur le fait religieux. L’Institut Montaigne constate que "de plus en plus de répondants considèrent que la question de la religion devrait être abordée avec un candidat visiblement pratiquant lors de l’embauche et que l’entreprise devrait éviter le recrutement de salariés visiblement pratiquants". Illégal. "Il leur faut gérer une situation en tant que managers, et pas en tant que théologiens !" répond Lucy de Noblet. Accorder un congé pour une fête religieuse ? "Le manager n’a pas à tenir compte du motif du congé, il regarde si c’est possible avec l’organisation du service. Dialoguer, être dans l’équité sans discriminer ni sanctionner, c’est la meilleure solution", conclut-elle.