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Февраль
2024

Chômage : "Un gros choc va avoir lieu en 2025 avec la réforme France Travail"

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Emmanuel Macron ne manque pas une occasion de se féliciter de la baisse du chômage en France, depuis son élection en 2017. Il est vrai que la fameuse courbe, dont son prédécesseur a longtemps attendu l’inversion, a atterri à son plus bas niveau depuis 1982, à 7,1 % au premier trimestre 2023. Las, la victoire fut finalement de courte durée. Depuis quelques mois, le taux de chômage repart à la hausse doucement, mais sûrement. Au quatrième trimestre de l’année dernière, il s’est stabilisé par rapport au précédent, à 7,5 %, selon les données publiées mardi 13 février par l’Insee.

Mais le mouvement pourrait ne pas s’arrêter là, ne serait-ce que pour des raisons mécaniques. A partir du 1er janvier 2025, tous les allocataires du RSA, soit quelque 1,86 million de personnes, seront automatiquement inscrits à France Travail - anciennement Pôle emploi - faisant exploser, de fait, les statistiques. D’ici là, une nouvelle catégorie, sur laquelle planche un groupe de travail présidé par l’économiste Eric Heyer, devrait être créée pour permettre de mieux lire et analyser cette évolution sans provoquer la panique. Une formalité ? Pas vraiment, car le problème se situe ailleurs. Si le nombre de demandeurs d’emplois inscrits à France Travail est un indicateur scruté par le gouvernement, c’est surtout le taux de chômage au sens du BIT, calculé par l’Insee, qui importe. Pour L’Express, Eric Heyer revient sur les conséquences de ce changement de cadre et les implications potentielles pour le gouvernement.

L’Express : Pour quelles raisons l’arrivée de France Travail va bousculer la façon dont on comptabilise le chômage ?

Eric Heyer : Il faut absolument distinguer les chiffres de France Travail, qui sont des données administratives, de ceux de l’Insee. Pour les premiers, on ne parle pas des chômeurs, mais des demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM). Pour les seconds, il s’agit des chiffres du chômage au sens du Bureau international du travail (BIT), une tout autre méthodologie qu’utilise l’Insee. Ce qui est certain, c’est que la réforme de la loi plein-emploi va assurément bouleverser les statistiques des DEFM, puisqu’on va demander à tous les bénéficiaires du RSA d’aller s’inscrire à France Travail.

Cela va provoquer un bond énorme, avec de l’ordre de 1,2 million de demandeurs d’emploi en plus. Ajoutons que tous les jeunes qui sont dans des parcours d’insertion, environ 300 à 400 000, vont devoir aussi intégrer les statistiques. Aujourd’hui, il n’y a que 17 départements qui en font l’expérimentation, mais à partir de ce mois de février, on passe à 48.

Le chômage au sens du BIT pourrait-il lui aussi connaître un bond ?

C’est plus compliqué parce que "le comportement" entre en ligne de compte. Le chômage au sens du BIT est calculé à partir de "l’Enquête Emploi" réalisée par l’Insee au cours de laquelle on vous pose des questions, et selon vos réponses, on vous considère ou pas comme chômeur. Il faut d’abord répondre à l’interrogation suivante : "Avez-vous travaillé au cours de la semaine de référence ?". Il faut répondre "non", mais cela ne suffit pas pour être chômeur. On va ensuite vous poser d’autres questions et notamment : "Etes-vous immédiatement disponible ?". Si la personne dit "non", en raison d’un stage ou d’une formation par exemple, dans ces cas-là, même si elle n’a pas travaillé, elle ne sera pas considérée comme chômeuse. En revanche, si elle est immédiatement disponible, vient une dernière question : "Recherchez-vous activement un travail ?". Si la réponse est encore "oui" alors vous êtes considéré comme chômeur, sinon, si vous cochez deux oui sur les trois réponses, vous êtes dans ce qu’on appelle le halo du chômage qui comprend actuellement plus de 2 millions de personnes, dont environ 700 000 qui ne recherchent pas activement un emploi.

Avec la réforme France Travail, le RSA va être conditionné à 15 heures d’activité durant lesquelles les personnes vont par exemple refaire leur CV et se remettre à chercher un emploi. Ce sont potentiellement 700 000 personnes qui pourraient passer du halo du chômage au chômage, soit un bond extraordinaire dans les statistiques.

A quel horizon cet impact sera-t-il visible ?

En 2024, il ne va pas se passer grand-chose. En revanche, le gros choc va avoir lieu en 2025 pour les chiffres des demandeurs d’emploi en fin de mois inscrits à France Travail. La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) a un an pour mettre en place des outils d’analyse afin de mieux comprendre les évolutions des DEFM une fois la mesure mise en place. L’objectif est d’identifier les causes, détérioration de la conjoncture ou effets produits par la réforme France Travail.

Si cette massification a lieu, quelles conséquences cela pourrait-il avoir ?

Je préside un groupe de travail au Conseil national de l’information statistique (Cnis) qui justement réfléchi à cette problématique afin de demander à la Dares d’ici janvier 2025 de préparer un outil performant qui permette de commenter de façon un peu plus juste les évolutions des DEFM.

En revanche, pour le chômage au sens du BIT, les marges de manœuvre sont plus limitées. Ce sont les mêmes questions que l’on pose partout dans l’ensemble des pays développés. Là, il faut laisser faire les choses. Et si cela fait augmenter le chômage, on va être bien en peine. Cela pourrait constituer un mauvais coup pour le gouvernement de deux façons. La première : cela fait augmenter les chiffres du chômage, alors qu’Emmanuel Macron vise le plein-emploi en 2027. Même sans cette réforme-là, il devrait de toute façon augmenter, alors imaginez jusqu’où. La deuxième : les nouvelles règles de l’assurance-chômage prévoient que si le taux de chômage passe au-dessus de 9 %, les durées d’indemnisation seront rallongées ce qui impliquerait des dépenses supplémentaires. Ces réformes étaient menées pour faire des économies, elles pourraient finalement coûter un peu d’argent.