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Февраль
2024

Rallye aux Inrocks Festival : “Tu croyais que t’allais écouter du rock ?”

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Envoyant valser, en deux EP, tout ce qu’on croyait connaître du rock français comme les meilleurs de ses contemporains, Rallye se produira le 1er mars 2024 sur la scène du Centquatre-Paris. Rencontre avec le quintet rock le plus cool du moment.

À bien y réfléchir, ils nous avaient déjà donné les clés pour saisir leur musique bien avant qu’on franchisse la porte de leur studio, nouvellement investi dans le 11e arrondissement de Paris, pour une discussion au long cours. En nommant malicieusement leur second EP cheval 2_3 (comprendre “cheval de Troie”), les cinq têtes pensantes de l’hydre Rallye résumaient déjà à la perfection la mécanique qui préside à leur processus créatif : un ensemble pensé comme une entité, sans concessions, solidaire et prompt à subvertir les tropes attendus du groupe de rock français. Un grain de sable dans la machine esthétique du style, un coup de pied dans la fourmilière ordonnée du genre.

Pourtant, ce programme ambitieux ne semble masquer aucun péché d’orgueil sinon celui de surprendre, d’être constamment là où on ne l’attendrait pas. Quand on rencontre Baptiste, Léo, Stan et Hugo (Greg, le dernier membre, a été victime d’une panne de réveil) dans leur nouvel environnement de travail, ils résument ce choix de titre roublard en une question finalement pas si rhétorique : “Tu croyais que t’allais écouter du rock ?”

L’art du décloisonnement

Comme tous·tes les artistes adeptes du décloisonnement des genres ayant éclos en France ces dernières années (Éloi, leur pote Timothée Joly, Yoa, Simili Gum…), la réponse à cette question est fluide, oscillant entre les deux bouts du spectre qui sépare le “oui” et le “non”, selon les morceaux et selon d’où l’on se place en tant qu’auditeur·rice : un possible avenir du rock, ou de la pop, ou des deux, ou l’avènement d’autre chose, un genre informe (comme sur la pochette de cheval 2_3) qu’on ne se risquerait pas à nommer de suite.

D’autres ont essayé avant nous, tranché pour eux et opté, par exemple, pour “variété-pop rock internet” – une dénomination loin de satisfaire le groupe. Si Baptiste, le chanteur et parolier, estime qu’il a “de moins en moins de mal à dire qu'[il fait] de la variété dans le texte”, Stan explique sans prétention : “Ça me va qu’on n’arrive pas à nous classer dans des cases.” Et Léo de préciser en toute simplicité : “En vrai, on fait des chansons en français.” Cette dernière observation, presque anodine, est peut-être d’ailleurs le cœur battant de la bête Rallye.

“On n’a pas de modèle actuel dans le rock francophone. Les gens qui font du rock le font en anglais et comme on écoute plein d’autres trucs qui nous influencent, on est plus intéressé par la scène de Tim [Timothée Joly avec qui ils ont collaboré], décomplexée dans le côté transversal des genres de musique, les trucs de l’underground, de l’electro, que par la scène rock”, explicitent Baptiste et Léo. “Je trouve ça plus frais, plus moderne, plus excitant. Un truc que les darons ne comprennent pas trop”, surenchérit Stan.

Rock du futur

Pour Rallye, qui vient tout juste d’entrer dans les turpitudes de la vie de groupe (nouveau studio, peur de se répéter, crises d’inspiration et nouvelles contingences économiques), cette assertion n’a rien d’une attaque à l’encontre des groupes faisant le choix d’un rock anglophone et de facture plus classique. C’est une manière de s’en tenir strictement à leur “sacerdoce”, comme il le qualifie presque ironiquement. Intransigeant sur le choix de langue française  (“Kyo, BB Brunes, puis Rallye. C’est ça l’arc narratif”, s’esclaffent-ils), atomisant le rock, le post-punk, le shoegaze ou le pop-punk, ils les reconfigurent dans de nouvelles formes pour le futur de ces genres, d’une manière pas si éloignée de l’ethos déconstructiviste de l’hyperpop.

S’ils confessent d’entrée que l’écriture de nouveaux morceaux quelques mois seulement après avoir publié cheval 2_3 s’est faite dans la douleur, c’est aussi parce que Rallye se vit comme une permanente fuite en avant stylistique qui les oblige à tout remettre à plat systématiquement, à constamment tout repenser.

“Dans notre démarche, chaque EP est un album, mais on veut toujours évoluer et surprendre les gens. Le premier (L’Âge d’or, 2021), c’était un exercice de style. Tame Impala tournait à fond et on voulait faire du rock psyché en français, s’inscrire dans cette vague-là”, expliquent-ils de concert, “mais ça n’était pas encore nous. On se cherchait encore un peu au niveau du son, on était plus cloisonnés : on découvre le shoegaze, on fait un morceau shoegaze.”

Esprit frondeur

À ce moment-là, les quatre membres de Rallye (avant d’être rejoints par Hugo sur le second EP), amis d’enfance originaires de Colombes, en banlieue parisienne, composent dans leur chambre et se creusent la tête pour produire le disque le plus organique possible derrière un ordinateur. Avant d’opérer un changement de paradigme, en apparence tout simple : faire de l’ordinateur le sixième membre du groupe. “Sur le premier, il y avait l’idée de faire des chansons intemporelles ; autant le second, on voulait un ancrage dans l’époque. Faire des trucs plus modernes. Sur le premier, on voulait que l’ordi ne se sente pas, alors que le deuxième, c’était l’inverse : ‘Montrons-le, peut-être que ça peut devenir une force’”, confirment-ils. “En plus tout le monde s’était mis à faire du rock psyché.” Ils marquent un temps : “Et maintenant qu’est-ce qu’on va faire ? Tout le monde fait du rock sur ordi !” (rires)

Cet esprit frondeur, c’est finalement ce qui caractérise le mieux la musique sur un fil de Rallye : les thèmes liés à l’adolescence y sont légion, pour redoubler leurs motivations d’enfants indociles du rock français. L’amour des tubes le dispute aux ruptures de tons et de genres qui affleurent dans les cinq cerveaux du cheval de Troie. Démolir pour mieux reconstruire : “Chaque été, on part faire de la musique en Corrèze. On essaye de bien faire et à la fin on ne garde rien. Mais on a besoin de se perdre, d’explorer ce qu’on veut. C’est un peu des voyages au bout de nous-même quoi !”

Alors quand on les interroge sur l’éventualité d’une méthode de travail, les récits d’essais infructueux fusent – le dernier en date repose sur un classement empirique par couleur qui s’est révélé complètement abscons : “On a cherché une méthode parce qu’on pense que ça nous soulagerait d’un poids mental. Mais on a déjà vu des writing camps, comment faire de le musique de manière chirurgicale. Appliqué à notre musique, ça deviendrait vite stérile, comme si elle était produite par une IA”, racontent-ils. “Notre musique, c’est le poids mental. On nous a montré qu’on pouvait faire de la musique rapidement, mais Rallye, ça prend toujours six mois pour finir un morceau. C’est douloureux, mais ça donne de la valeur aux choses.”

Jeux d’influences

Comprendre Rallye, c’est donc comprendre ce que le groupe n’est pas, avec lequel on procède inévitablement par élimination. Pour mieux saisir ce qui s’y joue, autant revenir à la base de Rallye, les actes fondateurs du groupe en studio puis sur scène, qui cristallisent finalement toute son identité : l’influence de Phoenix et de Yelle. Les deux partagent le même statut d’apatrides, seul·es sur leurs planètes, ayant attendu le succès à l’international pour enfin devenir des références en France. Baptiste (secondé par ses partenaires) qualifie Yelle de “projet francophone préféré” avec “sa poésie raccrochée à des trucs très simples” et avec GrandMarnier, ils leur ont offert leur deuxième concert à Art Rock à Saint-Brieuc lors d’une carte blanche en 2021 (“Ce sont les premiers à être venus vers nous. C’est un pur hasard, une espèce de concordance des astres”).

Quant à Phoenix, c’est le groupe d’une vie pour les cinq membres de Rallye. Parce que leur nom vient d’un morceau extrait de It’s Never Been Like That (Armistice était déjà pris !), parce que Wolfgang Amadeus Phoenix a complètement transfiguré la fin de leur collège et leur a donné des envies de tubes et de synthés, parce que s’ils le pouvaient, ils pilleraient sans vergogne le catalogue du groupe versaillais, parce qu’ils matent encore religieusement le documentaire Arte qui accompagnait Phoenix sur leur tournée de 2011. Et dans ce double mouvement de déférence et d’identification (presque mimétique parfois, ils le concèdent), c’est le moteur de Rallye qui s’offre à nous : “On joue sur les deux tableaux : faire des tubes mais aussi faire accepter une musique n’aurait actuellement pas de case à la radio.” Le sacerdoce de Phoenix réincarné.

Cheval 2_3 (Les Productions du Sanctuaire). Sortie depuis le 30 mars 2023. En concert aux Inrocks Festival (Centquatre-Paris) le 1er mars. Réservez votre place.