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Февраль
2024

Pourquoi ces médecins en Creuse doivent rappeler à leurs patients de les respecter ?

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Dès leur arrivée dans les locaux de la maison de santé, les patients découvrent, accrochées aux murs des salles d’attente bondées, des affiches leur demandant de respecter l’ensemble du personnel. Elles ont été placées aux quatre coins de cette structure de 850 m² pour tenter de prévenir la multiplication des incidents. Face au désarroi quotidien des personnes qui ne parviennent plus à se faire soigner, les médecins ont tenu à rappeler que malgré toute leur bonne volonté, ils ne peuvent plus accepter de nouveaux patients.

« Nous ne pouvons pas faire l’impossible »

Avec 17 professionnels du secteur médical, la maison de santé est pourtant devenue un exemple d’attractivité en Creuse. Elle accueille sept généralistes, un médecin vasculaire, un cardiologue, un neurologue, des kinésithérapeutes, des orthophonistes, une psychologue et des infirmières. Mais cette palette aussi large soit-elle, ne peut couvrir à elle seule la faiblesse de l’offre médicale du territoire.

"Nous faisons notre maximum pour de nouvelles prises en charge, mais nous ne pouvons pas faire l’impossible. Un de nos généralistes a une patientèle qui dépasse 1.800 personnes, soit 50 % de plus que la moyenne nationale."

Selon elle, il manque actuellement huit médecins généralistes sur le territoire du Pays sostranien pour satisfaire les besoins d’une population qui éprouve de plus en plus de difficultés à accéder aux soins. Il en est de même sur l’ensemble du département, qui possède le plus faible taux de généralistes de Nouvelle-Aquitaine, avec 128 médecins pour 100.000 habitants.

550 m² supplémentaires

Alors que certaines maisons de santé sont à moitié vides dans le département, celle de La Souterraine doit temporairement refuser des demandes de professionnels faute de place dans ses locaux. Pour le maire et président de la Communauté de communes, Étienne Lejeune, le succès de cette structure est ambivalent :

"La maison de santé rayonne sur un territoire beaucoup trop large, comprenant le nord de la Haute-Vienne, le sud de l’Indre, et l’intégralité de la Creuse. Elle a créé un espoir beaucoup trop grand sur la population."

Pour atténuer cette tension, un projet d’extension est déjà prêt à sortir de terre, deux ans et demi à peine après l’ouverture de la maison de santé. Ce chantier n’aura aucun impact négatif sur le fonctionnement quotidien de la maison de santé. Avec 550 m² supplémentaires, 13 nouveaux professionnels pourront être accueillis dès le deuxième semestre de l’année prochaine.

La moitié des bureaux sont déjà réservés aujourd’hui, alors que la collecte des fonds nécessaires au lancement des travaux (1,7 million d’euros) n’est pas encore bouclée. Malgré cette incertitude, le Docteur Dallocchio, un pédiatre (le premier dans la commune depuis des décennies), a tout de même choisi de s’installer dans les locaux du centre hospitalier de la Souterraine, en attendant de pouvoir emménager dans la future extension.

Une menace pour le futur

Mais les professionnels les plus impatients de voir le lancement du chantier d’agrandissement sont sans doute les médecins déjà présents au sein de la structure. « La maison de santé est pleine, pleine, pleine. Nous n’avons pas d’autres choix que de construire cette extension. Si des jeunes médecins souhaitaient nous rejoindre aujourd’hui, nous ne pourrions pas les accueillir », regrette le docteur Robinson, une généraliste de 32 ans originaire de Guyane, qui a choisi d’exercer en Creuse avec son conjoint.

L’accueil des stagiaires et des internes constitue pourtant l’essence même du succès de la structure. Portée pendant des années par un homme visionnaire, le docteur Petit, cette approche a permis d’attirer la plupart des nouveaux praticiens qui exercent aujourd’hui dans l’établissement. Intégrés dès leur arrivée à une équipe bienveillante, ils ont souhaité ensuite revenir travailler à La Souterraine. Les capacités d’accueil limitées aujourd’hui pourraient donc à terme représenter une menace pour l’attractivité même de la maison de santé. 

À l’occasion d’une visite à la Souterraine le 6 février, Françoise Jeanson, vice-présidente du Conseil régional en charge de la Santé, a évoqué les réponses que sa collectivité pouvait apporter pour tenter de contrer la pénurie médicale. Historiquement, les compétences des Régions sont limitées en matière de santé. Cependant, Mme Jeanson, elle-même docteure, a rappelé que la loi NOTRe a confié en 2015 les responsabilités suivantes aux Conseils régionaux : l’organisation et l’accès territorial des soins, la gestion des formations sanitaires et sociales, le développement de la recherche et l’appui aux entreprises. La Nouvelle Aquitaine finance ainsi aujourd’hui à hauteur de 120 millions par an le secteur de la santé.

« Ce n’est pas le bâtiment qui marche, c’est le projet »

La vice-présidente a passé l’après-midi à échanger sans langue de bois avec les professionnels de la structure. Elle a d’abord salué « une vraie réussite, qui vient de loin. Cela a commencé il y a 15 ans lorsque le docteur Petit a décidé de prendre des stagiaires. Un premier s’est ensuite installé, puis un deuxième, etc. Cela prouve que ce n’est pas le bâtiment qui marche, c’est le projet. Il faut une dynamique portée par des professionnels et des élus locaux ». Face aux difficultés évoquées, notamment par Mme Vergnaud, la coordinatrice de l’établissement, Françoise Jeanson a rappelé que la Région dispose de projets à même de soulager la tension générée par les demandes des professionnels et des patients. Les hébergements territoriaux de santé peuvent ainsi permettre de faciliter le logement des stagiaires qui viennent pour une courte période.Cette ancienne humanitaire de Médecins du Monde soutient aussi activement le développement du nombre d’infirmières en pratique avancée. Une nouvelle pratique permet aux paramédicaux d’exercer des missions plus poussées, jusque-là réservées aux seuls médecins. Elle reconnaît néanmoins que « le lancement est pour l’instant timide ».

Le financement de l’extension pas encore acté

Françoise Jeanson vante la pertinence de la e-santé en ruralité, en limitant les téléconsultations à certains sites définis. Elle est aussi convaincue par le concept de Médecins Solidaires, développé notamment à Ajain et Bellegarde-en-Marche.

Malgré tout, elle reconnaît qu’il y a encore beaucoup à faire sur le territoire, et que seule une réponse holistique, associant toutes les collectivités territoriales et l’État, aura un impact durable. « Je ne dis pas que la réponse de la Région sur la santé en Creuse est suffisante, concède-t-elle. Mais nous sommes au-delà de ce que nous faisons ailleurs ». En espérant que cette collectivité poursuive ses efforts, en cofinançant l’extension de la maison de santé de La Souterraine. Ce qui pour le moment n’a pas été acté ni du côté de la Région, ni du côté de l’État.

Victor Fleury