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Февраль
2024

Comment ces petits clubs de Creuse peuvent garder leurs joueurs sans les payer ?

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« Le football, il a changé. » Parfois reprise, souvent parodiée, cette sortie de Kylian Mbappé est pourtant criante de vérité. Le plus sûr exemple de ces évolutions ? Les sommes démesurées générées et dépensées par les clubs professionnels. Mais court le bruit que certaines structures, au niveau amateur, n’hésitent pas, elles aussi, à mettre la main au porte-monnaie pour s’attacher les services d’un joueur.

Une course à l’échalote

Les clubs, représentant la Creuse au niveau régional, sont unanimes. Cette pratique, devenue courante à leurs niveaux respectifs, gagne petit à petit les associations de la région. À Guéret, le président de l’Entente sportive guérétoise (équipe première en Régional 1), Claude Morelle, l’a bien remarqué : « Il est de plus en plus question d’argent au moment de signer des joueurs ! Et plus ça va, plus cette course à l’échalote arrive dans les divisions d’en dessous ». On parle là de clubs capables de poser plusieurs centaines d’euros par mois pour attirer des footballeurs. Claude Morelle confirme :

On a vu partir des joueurs de chez nous pour des questions d’argent. Ils nous disaient : “tel club me propose tant”. Ça pouvait aller jusqu’à 900 euros par mois. Alors quand c’est pour aller jouer dans des divisions au-dessus, je comprends, c’est ce que nous souhaitons à nos joueurs. Mais quand c’est pour aller en dessous, je ne comprends pas trop où est l’ambition sportive.

Le problème, c’est que toutes les structures ne sont pas armées pour suivre la course à la démesure. Et c’est le cas de beaucoup en Creuse. Exemple chez les Jaune et bleu de Guéret, pourtant club locomotive du football dans le département. Chez eux, la politique est claire : zéro rémunération. Et pas question de déroger à cette ligne de conduite, même dans les divisions les plus hautes. Budget oblige : « Si on prend le budget de l’ESG, c’est environ 280.000 euros pour l’année. La saison passée, en N3, on tombait contre des clubs comme Libourne (Gironde) qui flirtaient avec le million… Il y a plusieurs mondes d’écart ».

Claude Morelle se souvient d’ailleurs : « En National 3, on devait être l’un des seuls clubs de la poule à ne pas payer nos joueurs. En même temps, au vu de nos finances, on ne peut pas se le permettre ». La seule petite récompense pécuniaire?? Les primes de matchs : 60 euros pour une victoire, 20 euros pour un match nul à l’extérieur et 50 euros pour les joueurs présents sur la feuille de match. Seulement voilà, ces petites indemnités, quand elles sont financièrement possibles, ne pèsent pas bien lourd face aux grosses cylindrées ou à des concurrents mieux dotés.

« Des pigeons voyageurs »

De ce changement de fonctionnement, Michel Beuze, ancien président du CS Boussac (équipe première en Régional 2), en a été témoin. Le dirigeant, jamais loin de ses protégés, s’alarme : « L’esprit de clocher du football amateur comme nous l’avons connu est en train de disparaître ». 

En cause?? L’argent justement qui efface la culture de club. Michel Beuze l’affirme : « Notre vivier de joueurs, ici en Creuse, est trop restreint. Alors, il nous a fallu chercher des footballeurs de l’extérieur. Mais certains n’ont aucune reconnaissance. Ils viennent tant qu’il y a de l’argent… Les pigeons voyageurs, on les voit passer d’un club à un autre au gré des rémunérations qui augmentent ».Et pourtant, de son temps à la présidence, Michel Beuze a essayé de jouer le jeu des indemnités :

On payait le défraiement kilométrique pour conserver certains gars. J’ai souvent donné de ma poche pour qu’on y arrive financièrement,

annonce l’ex-dirigeant en chiffrant des sommes pouvant aller jusqu’à 300 euros par mois.

Une pratique impensable pour l’actuel président de Boussac. Depuis un an qu’il est aux affaires, Guy Darlet prône le « zéro rémunération ». Avec un budget de 70.000 euros pour la saison « il serait impensable de payer 15 ou 16 salaires fixes ».

Alors comment lutter face à la loi du plus offrant ? Du côté de Gouzon, l’on mise sur « un projet sportif attrayant » et « des infrastructures au top ». Jean-Michel Massias, le président de l’Avenir gouzonnais (équipe première en Régional 2) accrédite les paroles de Michel Beuze. Pour lui aussi, son club ne peut pas se contenter du vivier creusois pour être performant. Obligation, donc, d’aller chercher des footballeurs à l’extérieur. Allier, Haute-Vienne voire région parisienne, L’Avenir gouzonnais ne lésine pas sur les prospections…

Récapitulons : projet sportif, infrastructure et… compensation financière pour les joueurs les plus éloignés. Jean-Michel Massias le souligne, ceci dit sans donner de chiffres : « Nous avons à Gouzon le système de prime de match et de défraiement kilométrique. Mais ce n’est pas le financier qui fait tout. Notre but, c’est d’avoir des résultats et de l’ambition. C’est aussi ce qui participe à notre attractivité?! »

À Aubusson (équipe première en Régional 3), on joue la carte de la formation et les valeurs. Le coach de l’équipe fanion, Julien Richin l’assure, il n’y a pas de sous à se faire chez lui :

Nous, on ne paie personne. Au moins, pas de mercenaires chez nous, ceux qui sont là, c’est qu’ils ont envie d’être là?!

Le secret d’Aubusson ? Une politique tournée vers la formation et les valeurs du club. Preuve en est aujourd’hui, 90 % des joueurs de l’équipe première ont été formés au club. Autant de footballeurs, donc, qui baignent dans les valeurs de leur équipe depuis des années. 

« C’est la pierre angulaire de notre projet, insiste le technicien aubussonnais. Nous ne sommes “que” des amateurs. À notre niveau, on ne devrait pas entrer dans des considérations financières. » Pour Julien Richin, comme pour beaucoup de dirigeants creusois, toutes ces questions monétaires tuent l’esprit du sport amateur. Pire, elles dénaturent son esprit originel : « Nous ne sommes qu’en Régional 3, mais on l’a constaté. Aujourd’hui certains sont beaucoup plus centrés sur eux-mêmes et pensent avant tout à leurs intérêts, aux potentiels sous qu’ils vont pouvoir glaner çà et là. Le football, le club, le collectif, ça passe après », assure le technicien aubussonnais.

Claude Morelle, de l’ESG, en atteste :

Quand on voit que des joueurs nous claquent la porte au nez quand on leur refuse un salaire, c’est que le poison du pognon a pris, même dans nos divisions. Et quand c’est comme ça, les mercenaires partent. Et ceux qui aiment le foot restent

Justement, reste à voir pour combien de temps. Car si pour le moment, les plus petites structures tiennent le coup, d’autres se sont brûlé les ailes à entrer dans des considérations financières. Tout cela fait alors planer une drôle de perspective au-dessus du football amateur rappelons-le… perspective où seul le plus riche demeure.

Léo Candas