Emmanuel Macron : un Président qui impressionne mais n'imprime pas
Le rideau n’est pas encore tombé sur le second mandat d’Emmanuel Macron que déjà s’impose la figure d’un président de la République qui, à trop vouloir tenir le rôle qu’il s’est donné, aura peiné à incarner la fonction que les électeurs lui ont par deux fois confiée. Après l’hyperprésidence de Nicolas Sarkozy et la présidence « normale » de François Hollande, ce rôle d’un président jupitérien, c’est-à-dire impérieux et dominateur, visait à rendre à la fonction et sa grandeur et sa hauteur.
Mais, parce qu’il ne s’agit sans doute pas d’un rôle de composition, cette distance avec ses prédécesseurs l’a surtout éloigné de ses compatriotes. Le politiste Alain Faure en veut pour exemple sa conférence de presse du 16 janvier dernier : « Pendant plus de deux heures Emmanuel Macron s’est, devant des millions de téléspectateurs, exprimé avec brio et mordant, tour à tour analytique, prolixe en détails, solennel, joueur, volontiers sincère et emphatique. Et, cependant, dans leurs premiers commentaires à chaud, des éditorialistes ont souligné qu’en dépit de son éloquence, “le Président n’imprimait pas”. »
Les deux corps du Roi« La formule sonne juste, poursuit-il. Le jeune Président séduit ou agace mais ça ne va pas plus loin. Il ne marque pas les esprits sur des éléments concrets ou un dessein partagé. La communion avec les Français n’opère pas. Or, cette communion reste la principale gageure de l’incarnation politique. Il y a quarante ans, dans son essai intitulé Les deux corps du Roi, l’historien Ernst Kantorowicz avait montré comment les souverains habitaient la fonction royale à partir d’une étonnante dualité corporelle convoquant, sur une face, l’aura divine et, sur l’autre, les fragilités charnelles. » Emmanuel Macron, pensera-t-on, est trop bon élève pour ne pas l’avoir lu. Certes, mais le livre ne comporte pas de didascalies. Et, sans mode d’emploi, Jupiter n’est pas Janus.
« Le champion du “en même temps”, pointe l’universitaire grenoblois,, ne parvient toujours pas à ajuster le symbolique et le physique comme si sa gestuelle bondissante et son phrasé impeccable l’empêchaient d’habiter pleinement la fonction présidentielle. Pourquoi?? Peut-être parce que manquent à son répertoire les deux registres émotionnels fondamentaux des larmes et du doute. » Avec la Première dame, le chef de l’État semble à bonne école. « Emmanuel Macron, concède le politiste, est un acteur qui sait se montrer enjoué comme solennel. Il s’étonne, s’indigne et badine, tantôt accoudé au dossier, tantôt les mains volontaires et le buste en avant. Tête haute, menton volontaire, regard clair : son langage corporel est contrôlé pour signifier la vivacité et l’enthousiasme. Trop, peut-être… »
Le compte des passions n’y est pas : « La posture de pouvoir requiert des expressions explicites de compassion et d’empathie. Un chef se doit de comprendre et d’incarner les tâtonnements, fragilités et souffrances de la condition humaine. Pour reprendre la formule du sociologue Christian Le Bart, il doit savoir pleurer avec ceux qu’il gouverne. Or, dans la gestuelle d’Emmanuel Macron, jamais ne sourdent les ressentis du désarroi, de la faiblesse, du désespoir ou du doute. Ce Président s’expose mais s’affiche insensible, intouchable. »
Encre sympathiqueEt son verbe maîtrisé se conjugue par trop avec ce corps contrôlé. « Les prestations d’Emmanuel Macron, reprend Alain Faure, reposent sur la phraséologie d’un premier de la classe. Il décortique les problèmes, liste les défis et argumente les solutions avec aisance et fluidité. Il a réponse à tout. Ses ripostes fusent comme défilent les réparties du robot ChatGPT. Loin de lui faire peur, la complexité du monde le galvanise. Les idées s’empilent, les raisonnements s’enchaînent. Jusqu’à la saturation du son?? »
Et de conclure : « Alors que les orateurs charismatiques savent trouver les mots qui résonnent avec l’inconscient collectif, Emmanuel Macron, lui, disserte certes sur les incertitudes, les crises et les lueurs de la vie en société, mais sa plume semble trempée à l’encre sympathique : on peine à retenir le sens de ses brillantes envolées. Gestuellement comme verbalement, le Président a beau impressionner, il n’imprime pas. »
Jérôme Pilleyre