Frédéric Saldmann : les approximations et contre-vérités du "médecin des people"
Quelques pas de danse de Christophe Dechavanne, l’amourette de collège de Gabriel Attal avec Joyce Jonathan et au milieu, une ribambelle de contre-vérités scientifiques. Ce samedi 27 janvier, Léa Salamé recevait dans l’émission Quelle époque ! (France 2, 23h10) Frédéric Saldmann, docteur et écrivain à succès. L’habitué des médias devait y dévoiler ses astuces pour vivre plus longtemps. De quoi aussi s’assurer de la promotion de Votre avenir sur ordonnance, son 17e ouvrage.
Si les prescriptions du "médecin des people", à la courte carrière d’acteur et à la prospère entreprise de conseil dans l’agroalimentaire, ont captivé son auditoire, elles ont été vivement décriées en ligne, notamment par plusieurs de ses confrères. L’auteur affirme par exemple "qu’en trois semaines de vacances, on perd 20 points de quotient intellectuel". Un "désastre" dit-il, sans étayer. Pourtant, et malgré l’aplomb du spécialiste, rien n’indique dans la littérature scientifique qu’un tel effet fasse consensus, ce qui n’a pas manqué de faire réagir de nombreux spécialistes sur les réseaux sociaux.
L’énoncé paraît en réalité pour le moins farfelu, quand on sait ce qu’il représente : "20 point de QI en moins, c’est une perte comparable à certaines lésions cérébrales. On peut perdre autant avec Alzheimer, par exemple, mais cela prend des années", précise Franck Ramus, spécialiste de la cognition, directeur de recherche au CNRS et chroniqueur à L’Express. Rien, à part de graves pathologies, ne provoque une telle variation, assure le chercheur. Si être oisif peut jouer sur la motivation ou les performances, l’intellect, lui, reste intact. Prendre des vacances ne rend pas "débile". Le mot est pourtant employé par une Léa Salamé conquise.
L’inverse de ce que dit la science
Dans cette séquence, particulièrement commentée sur X (ex-Twitter), le Dr Saldmann, explique également que "le jeûne séquentiel rend intelligent". L’intéressé est un grand défenseur de la privation de nourriture, qui fait fureur ces dernières années. La science, bien que parcellaire sur le sujet, pointe pourtant à l’opposé de ce qu’il dit. Publiée en 2021 dans Current Nutrition Report, une analyse systématique réalisée par des spécialistes américains et anglais sur la base de vingt études – les plus rigoureuses – met en évidence des "déficits cognitifs" liés à la pratique, sans conclure à des bénéfices. Difficile de réfléchir le ventre vide.
Ayatollah du jeûne, le Dr Saldmann est un habitué des saillies infondées sur le sujet. "Le jeûne coïncide avec une élévation de l’esprit : c’est une façon de se sentir bien dans son corps, de régénérer sa santé physique comme spirituelle", écrit-il par exemple dans On n’est jamais mieux soigné que par soi-même, paru en 2020. Si la privation de nourriture entraîne bien une sorte d’euphorie, rien n’indique qu’elle ait de quelconques effets thérapeutiques, comme le rappelait déjà L’Express en février 2023. Mais il est vrai, en revanche, que s’en tenir à un repas frugal, équilibré et diversifié est bon pour la santé.
Dans Quelle époque !, et dans ses livres, le Dr Saldmann parle pourtant du jeûne comme de "la meilleure cure détox" qui soit : "Cela permet d’éliminer les cochonneries qu’on emmagasine, qui sont des contaminants éternels". Problème : les contaminants éternels ne peuvent par définition pas être éliminés par l’organisme. Quant au concept de "détox", il ne fait pas sens scientifiquement. Le corps est naturellement capable d’éliminer les toxines – il s’agit même de l’un des rôles du foie et des reins. Si une intoxication se forme en dépit du fonctionnement de ces deux organes vitaux, rien n’indique que sauter un repas n’aide.
Le sexe, quasi jouvence chez Saldmann
Autre conseil façon Saldmann : faire l’amour ! Une douzaine de fois par mois. De quoi rendre Christophe Dechavanne et l’humoriste Redouane Bougheraba, invités ce soir-là, hilares – et tenir la mort à distance, selon le docteur. Sauf que, là encore, rien de tangible sur le plan scientifique. En 2017, des chercheurs australiens ont suivi environ 1 000 volontaires de 70 ans pendant cinq ans, pour savoir si l’absence d’activité sexuelle, causée notamment par des dysfonctionnements érectiles, était un facteur de mortalité. La réponse, publiée dans The Journals of Gerontology, est non.
Comme pour le jeûne, en réalité, aucun consensus scientifique n’existe à ce sujet. Gagner dix ans, cela voudrait dire que l’effet sur la santé serait particulièrement saillant. Or la science est loin d’être aussi enthousiaste. Si de toute évidence l’acte est bénéfique, au moins pour l’humeur et le bien-être général, et si certaines études enregistrent bien une corrélation entre sexualité et longévité, le lien de causalité entre les deux phénomènes reste à démontrer.
Vulgarisation maladroite ou mauvaise interprétation ? Si une bibliographie scientifique est fournie à la fin des livres du Dr Saldmann, certaines de ses affirmations interrogent. En 2022, le collectif scientifique L’Extracteur, spécialisé dans la lutte contre les pseudosciences, en avait fait la liste. "Le massage du sacrum permet de libérer l’énergie de ce chakra", "les ondes sonores émises par votre chat ont une fréquence très proche de celle des appareils de kinésithérapies et soulageront vos douleurs ostéo-articulaires", peut-on lire dans On n’est jamais mieux soigné que par soi-même.
Plus people que scientifique ?
Autant d’écarts avec la rigueur scientifique, que le docteur, surnommé le "gourou du Tout-Paris" par Vanity Fair en 2015, assume. "Les gens sont angoissés, ils se méfient des labos, ils pensent qu’ils n’auront peut-être pas de retraite, pas les moyens de se soigner. Moi je leur dis : 'Devenez votre propre entrepreneur de santé'", expliquait-il dans le mensuel. La méthode, que l’on retrouve aussi dans le développement personnel, aurait attiré dans son cabinet pêle-mêle Bernard Tapie, Jack Lang, Claude Lelouch ou encore François Hollande.
Tant pis, si un de ses mantras, "maladie, mal à dire", se rapproche de courants pseudoscientifiques, comme le féminin sacré ou le crudivorisme, qui voudraient que nous soyons responsables des pathologies que l’on contracte et qu’elles pourraient se guérir par un simple changement d’état d’esprit. Si toutes les stars sont folles de lui, et que chacun de ses livres se vend à des dizaines de milliers d’exemplaires, comment pourrait-il se tromper ? Une bien étrange idée du processus scientifique.