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Январь
2024

W.G Sebald et Gaëlle Bourges: le miracle

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Comme une coïncidence : après « Oh les beaux jours » de Beckett (moment rare, nous l’avons dit ici-même), « Austerlitz », de Gaëlle Bourges. Petite différence entre les deux : l’un était un grand moment, l’autre est un chef d’œuvre – différence de nature, étanchéité absolue entre les deux.


Gaëlle Bourges a écrit et mis en scène un spectacle total – « Austerlitz », d’après W.G. Sebald – d’une intelligence syncrétique qui impressionne et émeut tout à la fois : mémorable et hors-norme.

L’histoire racontée, dite par une voix off claire, précise, est celle d’une enfant qui danse, devenue une chorégraphe (Gaëlle Bourges) célébrée (et sa troupe).

L’un des personnages-clés du spectacle – et peut-être de la vie – est le hasard, et le sens qu’il confère aux rencontres, au passé (rétrospectivement), au présent : y a-t-il un sens et une vérité à tout cela ? Le propos serait presque rebattu s’il n’y avait la manière – unique.

Non seulement la manière de le dire : le texte, donc, très élaboré, qui procède par libres associations d’idées ou d’images, flux de conscience apparemment désordonnés qui se résolvent in fine dans un magnifique et mélancolique bouquet. Comme un précipité chimique : tout, alors, cristallise, les rêves évoqués et la réalité de la troupe, aujourd’hui constituée.

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Mais aussi, mais surtout, la mise en scène : ce rideau de tulle qui sépare la scène de la salle, qui « floute » la scène comme la mémoire filtre les souvenirs (magnifique procédé) : non pas un obstacle, ce rideau, mais un lien, qui unit passé (souvenirs) et présent.

La projection de diapositives, en noir et blanc, qui double l’évocation des souvenirs par la voix off, et qu’illustrent les six ou sept danseurs et danseuses, fantômes derrière le rideau de tulle ; les jeux de lumière qui dessinent, voire sculptent le sol ; la musique récurrente, qui parachève les impressions que provoquent les mots et la danse ; la suggestivité des images (figurées ou réelles) que procure l’ensemble : tout est pensé, prémédité et contribue à l’impression d’un spectacle unique. En sortant du théâtre, bouleversé, je me récitais les mots de Stendhal, dans Rome, Naples et Florence (1826) : « J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. »

NB Il reste DEUX représentations : mardi 30 et mercredi 31 janvier. Comment convaincre ceux qui aiment le théâtre qu’ils en ressortiront éblouis ?

NB bis : j’ai vu deux fois le spectacle. Depuis quand n’avais-je pas fait cela… ? À chaque fois, certains ont quitté la salle (donc, c’est possible) ; les autres ont applaudi à tout rompre. Je n’ai pas quitté la salle.


Austerlitz, de Gaëlle Bourges, Théâtre Public de Montreuil, durée 1H40 ; métro Mairie de Montreuil. Tél. : 0148704890.

Et aussi : le 13 et le 14 février, à la Maison de la Culture d’Amiens ; le 1er mars au Théâtre Antoine Vitez d’Ivry-sur-Seine ; du 5 au 7 mars, au Théâtre de la Vignette de Montpellier.

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