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Январь
2024

Gros dossiers, chansons paillardes et ferme à Lubersac... Qui est vraiment Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire star

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Gros dossiers, chansons paillardes et ferme à Lubersac... Qui est vraiment Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire star

Après dix ans à lui courir après pour faire son portrait, Hélène Bourbouloux, corrézienne et administratrice judiciaire de haut vol, a enfin accepté de nous rencontrer. Son enfance au bord des terrains de rugby, la ferme familiale à Lubersac, son métier au chevet des entreprises, ses affaires emblématiques… Découvrez une femme hors du commun.

"Travaille bien à l’école, tu seras libre." Hélène Bourbouloux a suivi le conseil de ses parents pour en arriver là. Là, c’est "80 milliards d’euros de dettes restructurées et 700.000 emplois sauvés en treize ans". Certains la considèrent comme "la femme la plus puissante de France".

Lui a-t-on déjà proposé d’être ministre ? "Il y a des questions auxquelles on ne peut pas répondre", lâche-t-elle dans un grand éclat de rire. C’est Emmanuel Macron lui-même qui lui a remis la légion d’honneur le 30 octobre dernier. Même si elle s’est tenue longtemps à l’écart des médias, Le Monde l’a surnommée la "madone des faillites".

Il faut reconnaître que ça lui va bien. Mais elle préfère « docteur des entreprises ». La sémantique médicale lui plaît pour décrire son métier d’administratrice judiciaire. "On parle beaucoup de prévention, parfois de chirurgie lourde, d’intervention, de convalescence. On parle de la santé des entreprises. On n’est pas touché dans sa chair, mais il y a une santé morale qui est très affectée quand les difficultés se font jour."

Elle préfère "docteur des entreprises" à "madone des faillites"

Cette après-midi-là, elle est au tribunal de commerce de Brive, en Corrèze, où elle a grandi, pour accompagner deux entreprises locales. La première emploie treize salariés, la seconde huit.

"Chaque personne qui est confrontée à des difficultés, qu’elle soit toute seule dans son entreprise ou qu’il s’agisse d’une boîte de dizaines de milliers de salariés, c’est le même enjeu."

Elle connaît ses dossiers, du plus petit au plus médiatique, sur le bout des doigts. Sa première affaire : une coopérative agricole corrézienne de Saint-Germain-les-Vergnes. "Je rentre dans la salle, ils étaient cinquante, très masculins, un peu excités et vocaux. 'C’est un scandale ! L’administrateur judiciaire a envoyé sa secrétaire !' Je leur ai dit : 'oui, j’ai 27 ans, je suis une femme. Mais c’est moi !" Le ton n’appelle pas de contradiction. Hélène Bourbouloux ne se laisse pas impressionner facilement. "C’est mon milieu. Je suis petite-fille d’agriculteurs des deux côtés."

Jacadi, BFM Radio, EuropaCorp et tant d’autres

Depuis vingt ans, elle retape l’ancienne ferme de ses grands-parents à Lubersac. "Tous les ans, j’ai fait quelque chose. J’ai restauré la bergerie, le moulin… Ça commence à être bien." Elle y vit et télétravaille du jeudi soir au lundi soir quasiment chaque semaine. "Mon conjoint est resté en Corrèze depuis le 15 mars 2020 avec mon chien."

Elle y retrouve aussi ses parents qui la rejoignent. "Je travaille sur la même densité les vendredis, samedis et lundis qu’à Paris, mais dans un environnement familial. Quand j’arrive, je mets mes pieds dans mes chaussons, le feu est prêt, je déjeune très bien… J’aime la nature, l’authenticité des contacts. J’ai besoin de ce contraste avec la frénésie de la vie professionnelle." Frénésie, c’est le mot. Sa première affaire, la coopérative agricole, se termine bien. Des centaines suivront.

Onze associés, dix-sept bureaux

Elle s’occupe de Jacadi quand elle est encore en stage, juste avant d’obtenir son diplôme en 2002. Quand elle est encore collaboratrice, elle redresse les brasseries Léon de Bruxelles, "vous savez, les moules frites. Ça va très bien aujourd’hui." Elle vend BFM Radio à RMC en 2002 avant de créer, en 2007, son entreprise, FHB devenue FHBX : aujourd’hui onze associés et une centaine de collaborateurs, au sein de dix-sept bureaux disséminés un peu partout en France.

En 2019, l’affaire EuropaCorp, dirigée par Luc Besson, la passionne. "Il y avait une technicité entre les États-Unis et la France. Le juge américain a reconnu la procédure française dans son efficacité. C’est une petite victoire."

Les Fonderies du Poitou la marquent profondément aussi. "J’ai développé une relation hyper privilégiée avec les syndicats qui étaient dans une grève dure et légitime", se rappelle-t-elle.

Elle négocie des pièces et des volumes avec Renault, ce qui permet à l’entreprise de vivre encore huit ans de plus, jusqu’au 30 juin 2022, date de sa liquidation. "Ce n’est pas neutre, l’emploi de 400 familles pendant huit ans. Il faut parfois admettre que ce n’est pas moins noble d’accompagner la fin. C’est vrai pour les gens, c’est aussi vrai pour les entreprises."

Plus récemment, il y a eu Geoxia, cette société de construction de maisons individuelles, liquidée le 28 juin 2022. "Pour moi, c’est vraiment un échec. Je pense que c’est un dossier qu’on pouvait sauver, sur lequel on n’a pas réussi à convaincre un tour de table financier avec l’État. On pouvait sauver 600 personnes et tous les chantiers en souffrance."

Orpéa : "Énorme enjeu !"

L’an dernier, Hélène Bourbouloux s’occupe aussi d’Orpéa dont le crédit a été dézingué « à raison » par le livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet. Elle souffle : "Énorme enjeu ! C’est pas la même chose de traiter des vêtements dans un réseau de magasins, que de traiter des gens dans des maisons de retraite." 

C’est ce qu’elle appelle "un dossier épique avec beaucoup d’argent en jeu". La Caisse des dépôts et la Maïf ont finalement investi dans Orpéa. "Cela sécurise sa trajectoire avec beaucoup moins de pression sur une rentabilité immédiate. C’est encore un beau dossier qu’on a sorti."

Une mère sage-femme, un père pilier de rugby

Derrière tout cela, un travail acharné et un carnet d’adresses impressionnant qu’elle met à profit pour la Corrèze quand elle le peut. D’ailleurs, elle reconnaît traiter les dossiers corréziens avec "un regard affectif plus important, avec un engagement plus fort". Sa Corrèze, où "il y a de belles boîtes". Ces Corréziens qu’elle trouve "travailleurs, sérieux et courageux. J’ai toujours été marquée par des femmes notamment, qui sont capables d’avoir deux jobs en même temps."

Corrèze : l'administratrice judiciaire Hélène Bourbouloux, nommée chevalier de la Légion d'honneur

La place des femmes, un sujet qui lui tient à cœur et qu’elle embrasse en présidant l’association HEC We & men. "Je rêve d’un jour où vous assumez votre part masculine, j’assume la mienne et puis monsieur assume sa part féminine. Je suis sensible à une inclusion masculine dans la cause féminine. On porte des influences féminines et masculines. Et elles s’expriment en fonction des situations. La part qui nous différencie n’est tellement rien par rapport aux êtres humains que nous sommes. Mon père est rugbyman, ma mère est sage-femme. Je ne sais pas si j’ai plus d’influences de la sage-femme ou du pilier de rugby."

C’est autour des terrains qu’elle a grandi, emmenée par son père qui a beaucoup joué au Sporting Club Tulliste.

"J’ai aussi été élevée par cette famille du rugby. Je chantais des chansons paillardes à 5 ans, sans savoir ce que voulaient dire les paroles"

À 50 ans aujourd’hui, Hélène Bourbouloux a moins retenu les paroles de ces chansons que les valeurs portées par ce sport qui a beaucoup compté pour elle. "Je soutiens la démarche de mon ami Florian Grill (président de la Fédération française de rugby N.D.L.R.) qui est de faire du rugby un ciment de société. Ce sport porte des valeurs qu’il faut distiller auprès de jeunes, auprès des gens : le rugby santé, le rugby à cinq, le rugby à l’école…"

"Je regarde les arbres pousser"

Des valeurs qu’elle trouve aussi très proches du monde du travail. "Il n’y a pas de réussite individuelle sans réussite collective. Fabien Galthié a constitué une équipe pour la Coupe du monde avec des petits, des gros, des grands, des minces, des rapides, des foireux, des jeunes, des vieux… Et tout ça fait que ça marche ! C’est un super concept." Ce vendredi 12 janvier, elle nous quitte pour le Stadium de Brive, où en bonne abonnée, elle vient pousser derrière le CAB.

Hélène Bourbouloux ne s’arrête que le dimanche. "Je ralentis et je regarde les arbres pousser", en Corrèze évidemment. Sa Corrèze, dont elle ne peut pas se passer et où elle cultive la liberté. 

Emilie Auffret