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Январь
2024

"Ils n’ont pas de parole" : pourquoi les agriculteurs du Puy-de-Dôme ciblent les grandes surfaces comme Géant Casino ?

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Depuis dimanche, le mouvement des agriculteurs en colère a changé de braquet, dans le Puy-de-Dôme. Les actions se concentrent sur la grande distribution, comme à Cora à Lempdes ou Géant Casino, lundi matin, à Clermont-Ferrand. L’A71, elle, reste bloquée dans les deux sens.

Il y a d’abord eu le sommet de la pyramide. En ciblant des bâtiments administratifs à Marmilhat, puis ceux de la direction départementale des territoires (DDT) à Clermont-Ferrand, les agriculteurs ont voulu envoyer un message à la préfecture du Puy-de-Dôme et donc au gouvernement. Les voilà tournés, depuis dimanche, vers leur deuxième point de mire : « L’idée était de commencer par l’État. C’est fait, pose Nicolas Chatard, président des Jeunes agriculteurs du Puy-de-Dôme. Ensuite, les grandes et moyennes surfaces parce que les négociations commerciales sont en cours. »

Les marges cristallisent la colère

L’hypermarché Cora de Lempdes arrosé de lisier était un avant-goût, en fin de week-end. Pour commencer la semaine, des agriculteurs ont débarqué, lundi matin, vers 6?h?15, au volant de leurs tracteurs sur le parking de Géant Casino, au Brézet, à Clermont-Ferrand. En une demi-heure, ils ont rendu inaccessibles les treize entrées du centre commercial. « On a déversé la merde et on y va », résumaient-ils, avant de reprendre le chemin de l’A71, toujours bloquée pour une durée indéterminée, dans les deux sens.

Alors que les yeux sont rivés vers Paris depuis la mi-journée, lundi, il n’était pas question pour les Auvergnats de rouler vers la capitale. « Nous, on s’occupe du centre de la France », appuyait un éleveur, à l’aube. Avec une stratégie différente de celle des premiers jours, basée désormais sur des coups de pression. Les cibles ne sont pas choisies au hasard.

« Si on prend l’exemple de Carrefour, ils n’ont pas de parole, s’agace le président des JA. Ils prennent des engagements sur les volumes et à la fin, ça ne tient pas. Sur plusieurs produits, ils ont signé des clauses d’exclusivité. Ce sont les pires. Sur les négociations de prix, ce sont des chacals, ils s’agrippent pour payer le moins possible. On a beau négocier, ça ne marche pas. Les autres, c’est à peu près pareil, les coûts de production, tout le monde s’en fout. C’est un manque de respect. »Le blocage de l'autoroute A71 au niveau du Brézet continue. Photo Remi Dugne Le producteur sort l’exemple de l’ail pour illustrer le jeu qu’il juge dangereux de la part de la grande distribution. « Il part de la ferme à 4 euros, le grossiste le met en filet et en cagette, il repart maximum à 7 euros. Je l’ai vu à 18 euros en magasin, s’étonne Nicolas Chatard. Ils ne peuvent pas continuer de marger autant sur nos produits. Un produit quasi fini qui part d’une ferme ne peut pas prendre le double ou le triple de sa valeur arrivé au magasin, sans transformation intermédiaire. » Les opérations coups de poing contre les enseignes crispent les concernés.

Des tensions chez les patrons

La tension est palpable, ces derniers jours, et rares sont les patrons qui acceptent d’évoquer le sujet, dans un contexte inflammable. « C’est leur choix (de viser les grandes surfaces), grince celui de Leclerc, on travaille depuis trente-cinq ans avec 200 fournisseurs locaux. » Circulez. « C’est tendu, très tendu, confirme, en off, un directeur d’hypermarché. À l’origine, leur colère n’était pas dirigée vers nous, maintenant, on est en première ligne. Ce n’est pas surprenant, il faut un bouc émissaire, ça évite de chercher les vraies réponses. Je ne préfère pas m’étendre, ça risquerait d’attiser les tensions, c’est encore trop frais. »

À Géant et Auchan, seuls les services presse sont habilités à réagir. La seconde enseigne assure à La Montagne se classer parmi les plus vertueux, « aux côtés des agriculteurs ». Selon la directrice de la communication Marie Vanoye, le groupe a pris des engagements en 2023 pour réduire ses marges sur les produits frais. Alors que les exploitants agricoles réclament une meilleure application des lois Egalim, censées protéger leurs revenus face aux distributeurs, Auchan dit les respecter et se positionne dans une démarche de dialogue. Sans manquer d’égratigner ses concurrents.Photo Franck Boileau « Eux ne prennent pas la parole parce qu’ils n’ont rien à raconter, décoche Marie Vanoye. Nous, on ne se lance pas dans la guerre des prix. » Au QG des agriculteurs, sur l’A71, on se prépare à rester mobilisés dans la durée. La méthode du coup de poing sera déployée tant que le mouvement perdure. « Il pourrait y en avoir plusieurs chaque jour, jusqu’à ce qu’on ait des réponses à la hauteur. »

Malik Kebour