À 84 ans, le chef Guy Legay revient sur son parcours étoilé, du Puy-de-Dôme aux cuisines du Ritz
Surpris et amusé. Guy Legay a l’œil qui pétille à l’évocation de sa dernière distinction dévoilée le 31 décembre. Parmi 352 personnes, le chef puydômois a été promu commandeur de la Légion d’honneur. Pas de quoi en faire tout un plat pour l’enfant de Pontgibaud, qui n’a jamais pris la grosse tête sous la toque de chef, malgré les prix prestigieux qui ont ponctué sa carrière et deux étoiles au Michelin conservées durant plus de trente ans.
Naissance dans le café hôtel restaurant familial, à PontgibaudQuelques jours après la bonne nouvelle, il a répondu à notre demande en nous invitant sur ses terres natales pour découvrir son univers. Et c’est précisément au bar l’Univers qu’il nous accueille. Dans ce café hôtel restaurant où il a vu le jour en 1939, dans la chambre numéro 5. Étant le seul garçon de la famille, l’affaire située en bordure de route à la sortie de Pontgibaud aurait dû lui revenir. Il a préféré aller plus loin et c’est Marie-Antoinette, l’une de ses deux sœurs, qui a pris la relève des parents jusqu’à aujourd’hui car, bien qu’octogénaire, elle ouvre encore le café.
Photo Francis Campagnoni
Premiers pas en cuisine... Un vrai cauchemar !Dans ce décor désuet, le chef a enfilé sa veste de cuisinier au col bleu blanc rouge pour faire un bond dans le temps. Par la fenêtre, il pointe l’autre côté de la route où on distingue la gare qui accueillait jadis les Clermontois friands des dimanches à la campagne et des parties de pêche sur les bords de la Sioule. C’est de cette gare que Guy Legay a pris la direction du Mont-Dore à l’âge de 16 ans, pour commencer son apprentissage en cuisine. Un vrai cauchemar?!
Comment le chef auvergnat Guy Legay a réuni 38 des meilleurs cuisiniers de France dans un seul livre ?
"Il n’y avait pas de chef et j’étais cantonné à faire de la peinture et cirer les parquets. Quand mon père l’a appris, il est venu me chercher. La patronne était en colère parce qu’elle aurait bien aimé me garder pour bricoler et lui faire à manger. Elle a même dit à mon père “Votre fils ne fera jamais rien dans la vie”?!", sourit le chef au regard vif et aux souvenirs précis. L’histoire ne dit pas si elle a suivi le parcours de l’adolescent, qui n’a pas baissé les bras, malgré cette funeste prédiction.
La "montée" à la capitaleRecommandé par un client de ses parents auprès de Lucien Bon, chef de La Belle Meunière à Royat, il entre enfin dans une cuisine digne de ce nom. Deux ans plus tard, CAP en poche, il s’élance avec avidité à la conquête de la capitale. Grâce à des lettres de recommandation, il enchaîne les postes jusqu’aux cuisines triplement étoilées de Maxim’s. Sa soif d’apprendre l’incite à pousser d’autres portes, jusqu’au Bristol. C’est là que ce travailleur acharné, qui maîtrise tous les secteurs de la cuisine, va mettre les bouchées doubles.
Avec Paul Bocuse.
Premier prix décroché à 26 ansEn 1966, il participe à son premier concours et remporte le prix Prosper-Montagné. Ce "Goncourt de la cuisine" lui ouvre la voie du Pavillon Ledoyen. À 26 ans, il s’impose à la tête d’une trentaine de cuisiniers dans ce prestigieux établissement. Auréolé de deux étoiles, il confirme son talent par le prix Taittinger en 1968, le trophée national de cuisine en 1970 et le titre de Meilleur ouvrier de France en 1972.
Arrivée au Ritz en 1980En 1980, Mohamed Al Fayed le persuade de s’installer derrière les fourneaux du Ritz, où il dirige une centaine de cuisiniers. À nouveau, il décroche deux étoiles dans le fameux guide Michelin : la première en 1981, puis la deuxième en 1983. L’Auvergnat s’offre même quelques escapades en mer avec son ami Paul Bocuse pour pêcher le homard ou à bord de luxueux paquebots (France, Queen Élisabeth II, Ponant…) pour régaler les stars et les puissants de la planète.
Avec le président de la République de l'époque, François Mitterrand.
Guy Legay a cuisiné pour des célébrités de tous les milieux, des ministres et des présidents, mais il garde les pieds sur terre et n’apprécie rien tant qu’une bonne cuisine familiale.
Une tête de veau bien faite, un bon saucisson pistaché, une volaille aux morilles à la crème, une carotte nouvelle glacée avec du beurre et un peu de sucre, il n’y a rien de meilleur.
En 2000, il a raccroché son tablier et tenté l’expérience d’une entreprise de conseil, mais la mayonnaise n’a pas pris. Désormais, il poursuit la transmission de son savoir à travers des livres, dont le dernier, Chefs, fait la part belle aux cuisiniers qui ont croisé sa route. Si aucun de ses deux enfants et quatre petits-enfants n’a suivi ses traces, Guy Legay a formé des dizaines de MOF, d’étoilés et de chefs renommés, parmi lesquels figurent François Adamski, Gérard Besson, Christian Constant, Yves Candeborde, Jean-Marc Delacourt, Jacques Lameloise, Bernard Leprince, Christian Le Squer ou encore Michel Roth. Des professionnels inspirés par la touche de ce chef qui a allégé la cuisine des palaces avec des recettes à la fois plus techniques et plus saines.
La cuisine est un patrimoine culturel qui évolue sans cesse, mais où on ne peut pas faire n’importe quoi.
"Aujourd’hui, les nouveaux cuisiniers veulent faire de la musique, mais ils n’ont pas appris le solfège. On fabrique des vedettes avec la télé, on va chercher des ingrédients ailleurs… Si ça marche, c’est que ça plaît aux gens, mais parfois ça m’attriste", déplore-t-il.
De la chance et du travailQuand on lui demande la recette de son succès, il lance "J’ai eu la chance d’être au bon moment au bon endroit?!", avant de compléter : "J’ai aussi beaucoup travaillé, j’ai tout donné pour la cuisine, j’ai voyagé dans le monde entier." D’un regard sur le décor qui a bercé sa jeunesse, il conclut avec un clin d’œil : "Théoriquement, je devais reprendre l’affaire familiale et faire du coq au vin."
Maud Turcan