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Январь
2024

Le ministère de la Culture, une machine à distribuer des aides, par Nicolas Bouzou

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La nomination de Rachida Dati a déclenché un tsunami de commentaires politiques mais rien sur le fond. Les seuls qui se sont souciés de la politique que la nouvelle ministre allait mener sont les artistes, tétanisés par une "droitisation" du ministère de la Culture et par l’éventualité d’une vague libérale - encore faudrait-il que Rachida Dati soit libérale, ce qui reste à prouver. Interrogé sur cette nomination surprise sur BFMTV, il n’aura pas fallu quinze secondes à l’acteur Charles Berling pour demander à la nouvelle ministre plus d’argent public.

Rien de surprenant à cela : pour une très large part, le monde de la culture ne se conçoit pas autrement que subventionné à l’infini, et crie à l’ultralibéralisme avant même que cela fasse mal. En vérité, ce secteur est l’un des plus socialisés au monde, alors même que le résultat de ces dépenses, sur la qualité de l’offre comme sur l’accès à la culture, ne fait pas l’objet d’évaluations systématiques. Plus d’Etat, ce serait forcément bien ? Moins d’Etat, forcément mal ? Eh bien non.

La France, plus généreuse que la moyenne européenne

Déjà, il convient d’observer que, depuis la création de ce ministère en 1959, son budget a augmenté, à un rythme irrégulier certes, mais plus vite en moyenne que celui de l’Etat. On note dans cette trajectoire deux coups d’accélérateur : en 1981, avec l’arrivée des socialistes au pouvoir, et en 2017 avec l’élection d’Emmanuel Macron. En 2024, ce budget s’élevait à 11 milliards d’euros, en augmentation de 6 % sur un an, soit plus que l’inflation. Rapporté au PIB, le budget du ministère de la Culture est supérieur à la moyenne européenne. S’y ajoutent les importants soutiens des collectivités locales : 2,5 milliards d’euros pour le spectacle vivant par exemple. Enfin, il ne faut pas oublier cette spécificité française qu’est l’intermittence du spectacle. Ce système d’assurance sociale public permet à l’écosystème du spectacle de percevoir des revenus nettement plus stables que ceux spontanément générés par l’activité du secteur. Il coûte plusieurs centaines de millions d’euros par an, une somme qui pèse comptablement sur l’assurance-chômage, mais que l’on pourrait logiquement imputer au ministère de la Culture.

Une offre culturelle gonflée "à l’aveugle"

Le problème, c’est que cette inflation de moyens ne se traduit pas par une amélioration significative de l’accès à la culture. Prenons deux exemples : le théâtre et le pass Culture. La Cour des comptes fait remarquer que le soutien public au théâtre vivant permet d’entretenir une offre de spectacles abondante sur le territoire. Très bien. Il semble néanmoins que la démocratisation du théâtre soit à la peine, comme en témoigne le recul de la proportion de jeunes qui se rend dans les salles. Ce résultat malheureux n’est guère étonnant. Quand on socialise un secteur, on gonfle l’offre "à l’aveugle" et on génère des rentes quasiment impossibles à lever.

Quant au pass Culture, il coûte un peu plus de 200 millions d’euros par an, pour un bilan qui reste à établir. Il est universel, donc accessible sans condition de ressources. On sait que les jeunes l’utilisent prioritairement pour des achats de livres mais on ne sait pas lesquels. Autrement dit, nous sommes absolument certains d’avoir créé, grâce au pass Culture, une rente pour le monde de l’édition, mais nous ne sommes pas sûrs d’avoir contribué à démocratiser l’accès à la culture classique.

Une machine à distribuer des aides

Le ministère de la Culture est devenu une gigantesque administration qui distribue des aides et satisfait ainsi le corporatisme de sa clientèle. Mais où a-t-on vu qu’il existait un lien systématique entre volontarisme budgétaire et culture ? Dans son ouvrage Creative Destruction (2002), l’économiste américain Tyler Cowen avait montré que le développement de l’offre culturelle et son élargissement s’expliquaient prioritairement par le niveau de richesse des pays, davantage que par les budgets dédiés à la politique culturelle. En effet, plus une société est riche, plus elle dispose de ressources pour financer l’art et la création. Plus elle est ouverte économiquement et financièrement sur le monde, plus sa culture est diversifiée. Plus l’économie est libre et concurrentielle, plus les citoyens ont accès à une offre culturelle modique et qualitative. Résumer la culture française à son budget relève d’un contresens total.

Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères