Des pistes pour skier plus vert : dameuses hybrides, drones, rénovation des logements...
La montagne subit de plein fouet les effets du réchauffement climatique avec un avenir bien sombre puisque dans trente ans, tous les petits glaciers auront disparu. Un phénomène irréversible qui s’inscrit dans le temps : depuis 1970, la France a perdu cinq semaines d’enneigement à 2 100 mètres d’altitude. Et depuis 1952, la limite de la forêt a grimpé de 60 mètres (selon CREA Mont-Blanc). Il n’existe donc pas d’alternative et pour durer, les stations cherchent à réduire leur consommation d’énergie fossile, à favoriser les activités écologiques et agir pour la réhabilitation des zones naturelles. Un vaste mouvement qui se traduit par d’innombrables initiatives, discrètes ou d’ampleur.
Réduire les trajets par la route
L’urgence est à la décarbonation. La principale source de pollution en montagne reste les déplacements en direction des stations, qui représentent 52 % des émissions de gaz à effet de serre d’un séjour aux sports d’hiver, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Pour limiter l’usage de la voiture, la proximité d’une gare SNCF est donc un précieux atout. Car le train demeure le mode de transport le plus propre, émettant jusqu’à 30 fois moins de CO2 par passager. Saluons ici la renaissance (modeste) du train de nuit entre Paris et les Hautes-Alpes, les Pyrénées-Orientales, l’Ariège…
Encore faut-il des navettes propres pour le dernier trajet. Elles sont rares. Parmi les championnes de l’accès sans voiture, la station Arc 1 600 (Savoie) s’impose haut la main grâce à son funiculaire gratuit pour tout porteur d’un billet SNCF qui la relie directement à Bourg-Saint-Maurice TGV. Idem pour Le Lioran, dans le Cantal, où le rail s’arrête au pied des pistes.
Si la géographie et les budgets le permettent, des communes adoptent la solution radicale de l’ascenseur valléen - une télécabine - pour connecter la vallée et la station : Crémaillère Express de Luchon à Superbagnères, Skyvall de Loudenvielle à Peyragudes, Baou d’Ax-les-Thermes à Bonascre, Eau d’Olle Express d’Allemond à Oz 3300, etc. A noter, parmi les projets, celui qui permettrait, dans la perspective des JO d’hiver 2030, de gagner le domaine des Sybelles depuis Saint-Jean-de-Maurienne pour un budget de 50 millions d’euros.
Des dameuses sans énergies fossiles
Une fois sur place, et côté exploitation, les dameuses représentent la principale source d’émission de CO2 des stations. Ainsi, plusieurs études sont en cours pour remplacer leur mode de propulsion à énergies fossiles par de l’hydrogène : à l’Alpe-d’Huez, cinq engins partiellement modifiés devaient être testés cet hiver. Les constructeurs travaillent aussi sur des modèles électriques mais leur coût reste pour l’heure trop élevé. En attendant, les dameuses peuvent être hybrides (Peyragudes), se nourrir au GTL (Gas to liquids), un diesel de synthèse sans particules fines ni dioxyde de soufre, ou encore être propulsées grâce à du biocarburant ou du HVO fabriqué à partir de graisses et d’huiles de friture filtrées. Un mélange choisi par la station des Arcs qui annonce, pour ses véhicules à chenilles, des réductions de 83 % de CO2 et 65 % de particules fines.
En parallèle, la gestion des pistes, des itinéraires du damage, de la ressource en eau et de l’entretien global du domaine est devenue "intelligente" grâce au GPS embarqué Snowsat qui aide à optimiser au mieux les moyens. Aux Menuires et sur l’ensemble de la vallée des Belleville (Savoie), on estime un gain de carburant de l’ordre de 8 % et jusqu’à 15 % pour la production de neige de culture. Cette dernière est même arrêtée plus tôt dans la saison, à l’instar de ce qui se fait dans le Queyras dès le 15 janvier ! Enfin, la plupart des stations ont définitivement adopté les mesures de bon sens : écoconduite des dameuses, ralentissement des moteurs des téléskis, téléphériques, télésièges ou autres télécabines en cas de moindre fréquentation sur les pistes, voire fermeture des installations en doublon, etc.
Améliorer les hébergements
La réduction du nombre de remontées mécaniques participe également à ce mouvement responsable. "Sur l’ensemble du territoire, elles sont passées de 3 700 en 2010 à 3 089 en 2022 [-16,5 %], sans pour autant diminuer le nombre de pistes", assure Alexandre Maulin, le président de Domaines skiables de France. Moins d’appareils, démontage d’installations à l’agonie, (71 recensées à ce jour par DSF), moins de pylônes, moins d’empreinte sur le paysage, moins d’énergie consommée et pourtant davantage de débit-skieur. Quelques exemples : la Crémaillère Express de Luchon est passée de 28 à 15 pylônes. Le vieux Jandri des Deux-Alpes en vise bientôt plus que 7 (au lieu de 17) tout en espérant un précieux gain de temps de montée (17 minutes au lieu de 40).
Enfin, défi majeur du futur immédiat, les hébergements-passoires thermiques : selon une récente étude du cabinet Heero, spécialisé dans la rénovation énergétique, 1 logement sur 2 serait classé F ou G (donc bientôt interdits à la location). Des politiques d’incitation auprès des propriétaires existent à Cauterets avec son label Diamant Vert, dans les Sybelles avec des aides financières, à Orcières depuis 2014 ou encore à Tignes. "Notre objectif est d’atteindre la neutralité carbone en 2037 pour nos activités d’exploitation", promet Jean-Yves Remy, P-D.G. de Labellemontagne (9 domaines en gestion). Tandis qu’aux Orres, on vise le même horizon en 2050, toutes mobilités incluses. La pente vers le zéro carbone est encore raide.
Des initiatives pour skier plus vert
• Calculez votre empreinte carbone sur avenirclimatique.org
Exemples : 1 journée skieur = 48,9 kilos de CO2, dont 52 % transport, 16 % équipement (skis, veste…), 4 % hébergement et 3 % installations du domaine skiable (étude UTOPIES sur Tignes, La Clusaz et Le Grand-Bornand). Paris - la Tarentaise A/R en TGV, environ 10 heures = 2,2 kilos CO2 par personne ; en voiture thermique, environ 14 h 40 = 160 kilos CO2 par voiture.
• Mieux se déplacer en Isère sur itinisere.fr
• Pierre & Vacances a signé un partenariat avec TicTacTrip et développé ses offres "dimanche". Le groupe a interdit le film plastique pour protéger le linge (3 000 kilomètres/an !) et aura 100 % de ses résidences labellisées Clef Verte en 2025.
• La navette d’Evian vers les stations du pays d’Evian : 1 €. De Nice-gare vers les stations des Alpes-Maritimes (Auron, Isola…) : bus 100 % Neige, 14 € A/R avec 1 bagage et des skis (lignesdazur.com).
• L’agence de voyages en ligne La Plagne Resort a supprimé les solutions par avion dans ses packages.
• Une version sans option avion est proposée sur GoSavoieMontBlanc.com
• À Valberg (niveau 2 du label Flocon Vert), les navettes intra-muros sont électriques.
• Dans le Queyras, 28 hébergements écoresponsables sont proposés sous la marque « Valeur Parc » du Parc naturel régional.
• Aux Menuires (Savoie), un salarié surnommé Monsieur Vélo a été embauché pour gérer un important budget Mobilités douces.
• Les prêts bancaires destinés à investir dans les domaines skiables, remontées mécaniques en particulier, sont désormais liés à l’existence d’une réelle politique environnementale de la part des opérateurs.
• L’organisation d’un événement en station est assujettie à une déclaration imposée aux organisateurs par la Préfecture, la Région ou le département (selon le financement obtenu), justifiant de l’existence d’une politique de sensibilisation du public aux problèmes environnementaux et d’une remise en état des lieux.
• Pour leurs goodies - ces petits cadeaux le plus souvent made in Asia - les stations sont tenues de rechercher le plus faible impact carbone possible. Difficile, cependant, de savoir précisément d’où ils viennent, même en faisant appel à un intermédiaire local. À La Plagne, Courchevel ou Les Arcs, les goodies sont désormais garantis fabriqués en Europe.
• Megève s’est engagée dans un projet de réflexion collective, avec 100 actions définies et 32 objectifs opérationnels pour 2038. Exemple : la centrale solaire de Saulire Express (400 mètres carrés) en 2022.
• Au village de Cordon, face au mont Blanc, l’éclairage public 100 % LED est éteint entre 0h et 5 heures.
• Le domaine relié des Sybelles, en Maurienne, a décidé de stopper le ski nocturne.
• Pas banal : à Pralognan-la-Vanoise, les chèvres recyclent la quarantaine de sapins de Noël utilisés par la commune, lesquels sont prélevés en fonction de leur état sur des zones choisies, permettant de libérer de la place pour l’élevage de cochons laineux en été, lesquels seront aussi nourris par le petit lait provenant des chèvres qui ont ingurgité les sapins.
Rénovation des logements
À Montgenèvre (Hautes-Alpes), où 40 % des résidences datent d’après 2010, on suit aussi une politique QSE pour les bâtiments du domaine skiable. Tignes, elle, propose un partenariat avec les propriétaires pour sensibiliser à la rénovation énergétique des hébergements, avec bonus (réduction sur les forfaits par ex.) en cas de mise en location. Maeva Home suggère aux propriétaires un programme d’accompagnement pour la rénovation de leurs appartements. Le projet est mené avec Face/B, solution clefs en main, avec un objectif 500 logements d’ici à 2025.
Des drones pour décarboner
Aux Orres (Hautes-Alpes), le centre d’Excellence Drone en montagne (société Patrolair) est dédié au pilotage avec des formations théoriques et pratiques. Ses applications s’étendent au secours en montagne (via des caméras thermiques installées), à la maintenance technique, à la gestion du damage et à une surveillance des enneigeurs, à la prévention des risques avalanches… Une telle utilisation des drones permet une évaluation visuelle et donc une réduction des déplacements par véhicules thermiques (dameuses, scooters, hélico).
Serre Chevalier, station en pointe
Depuis 2006, la station des Hautes-Alpes a engagé une stratégie environnementale ambitieuse. Résultats :
- 30 % des besoins en énergie électrique produits sur place, notamment grâce à deux centrales hydroélectriques.
- 100 % des dameuses nourries au carburant végétal HVO, soit la moitié du parc à 90 % d’émissions de CO2 en moins sur un cycle de vie.
- 80 % en moins d’émissions de GES liées au fonctionnement de la station.
- 100 000 m3 de neige de culture en moins entre 2021 et 2022.
- Zéro pic de pollution en 2022.
Eco-engagements
1. Domaines skiables de France a instauré 16 éco-engagements à l’usage de ses 396 adhérents pour une neutralité carbone en 2037. De son côté, la Convention des entreprises pour le climat (80 membres dont les ESF, Fusalp, Chamrousse, les Trois Vallées…) travaille sur la transition des territoires via la multi-activités. Tandis que Lama Project, think tank sur l’avenir de la montagne et des stations, se donne pour mission d’"éclairer et influencer les décideurs et les usagers […] pour encourager la transition vers de nouveaux modèles économiques".
2. Les 16 éco-engagements établis par Domaines Skiables de France à l’usage de ses 396 adhérents abondent un objectif neutralité carbone en 2037, un mouvement partagé par la quasi-totalité de la montagne française. Parmi les initiatives globales, celle de Lama Project, think tank sur l’avenir de la montagne et des stations, est destinée à « éclairer et influencer les décideurs et les usagers des stations de ski pour encourager la transition vers de nouveaux modèles économiques répondant aux enjeux d’avenir ». Ou encore celle de la CEC, Convention des entreprises pour le climat, qui regroupe 80 entreprises et institutions (dont les ESF, Fusalp, Chartreuse, la station de Chamrousse, la société des Trois Vallées…) qui repensent leur modèle économique selon une feuille de route, notamment via des activités non énergivores.
3. À Tignes, on adapte le marketing avec un « indicateur de remplissage durable », une évaluation statistique sur la présence des vacanciers en fonction de leur origine géographique. « On ne recherche pas la surfréquentation, mais le raisonnable », dit Frédéric Porte, directeur général de la station. L’idée étant de réorienter le marketing vers les pays de proximité, délaissés ces dernières années au profit de destinations lointaines.