ru24.pro
World News in French
Январь
2024

Oudéa-Castéra, Cahuzac, Balkany... Ces mensonges qui coûtent cher aux politiques

0

"Des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées". C’est ainsi que la nouvelle ministre de l’Éducation, Amélie Oudéa-Castéra, a justifié droit dans les yeux le départ de son fils de l’école publique Littré, dans le VIe arrondissement de Paris, direction l’institution catholique privée Stanislas, située dans le même quartier. Cette intervention aurait pu passer presque inaperçue. Avant elle, l’ancien ministre Pap Ndiaye avait lui aussi été interrogé, après son arrivée au gouvernement en 2022, sur la scolarisation de ses enfants au sein de la très chic École alsacienne, elle aussi dans le VIe arrondissement parisien. Sa réponse - "les conditions d’une scolarité sereine et heureuse n’étaient plus réunies [dans le public]" - n’avait certes pas empêché les procès en "élitisme". Elle avait toutefois eu le mérite de contenir la polémique à son objet initial sans ouvrir un autre front : celui du soupçon de mensonge.

Quelques jours après sa sortie, l’ancienne institutrice du fils d’Amélie Oudéa-Castéra, interrogée par Libération, fragilisait la défense de celle-ci. Selon le quotidien, le choix de la ministre aurait davantage été motivé par le souhait de faire sauter une classe à l’aîné de la fratrie, ce que l’établissement public dans lequel il n’est finalement resté que six mois aurait refusé. Tollé médiatique. L’opposition fustige un "mensonge", certaines personnalités politiques appelant même la ministre à démissionner. Malgré le démenti officiel et le soutien d’Emmanuel Macron lors de son allocution, mardi 16 janvier, de nombreux internautes semblent aussi avoir tranché le cas de la ministre : "une menteuse", peut-on lire sur X.

"Droit dans les yeux"

Tous les mensonges politiques (même présumés) suscitent-ils un tel boucan ? Qui a déjà ouvert un dictionnaire de citations à la page "politiques" connaît sans doute le lot de critiques que suscite la fonction. "Le discours politique est destiné à donner aux mensonges l'accent de la vérité", persiflait George Orwell. "En politique, on ne flétrit le mensonge d’hier que pour flatter le mensonge de demain", écrivait Jean Rostand.

"Comment se fait-il qu’à nos yeux, l’image d’un politicien soit beaucoup plus négative que, par exemple, celle d’un publicitaire ? Comment expliquer que des deux professions qui nous mentent abondamment, seule celle de politicien soit si violemment rejetée ? s’interroge le politologue Thomas Guénolé dans son ouvrage Petit guide du mensonge en politique (Pluriel). La réponse est simple : contrairement au politicien, jamais le publicitaire ne nous a regardés droit dans les yeux en nous demandant notre confiance pour ensuite la trahir".

En France, la version "droit dans les yeux" du mensonge a déjà coûté cher à certains politiques. Nous sommes en 2012 lorsque Mediapart publie une série d’articles révélant que Jérôme Cahuzac aurait possédé un compte bancaire en Suisse à des fins de fraude fiscale jusqu’en 2010, avant de transférer les fonds à Singapour, préalablement à son arrivée à la présidence de la commission des finances de l’Assemblée nationale. "Je n’ai jamais disposé d’un compte en Suisse ou ailleurs à l’étranger. Jamais", défend celui qui est, entre-temps, devenu ministre du Budget, dans un communiqué de presse. Version qu’il répétera dans les médias, sur Twitter, et jusque dans l’hémicycle. En avril 2013, pourtant, le ministre finit par reconnaître avoir menti aux plus hautes autorités de l’État. Il démissionne.

"Dépit amoureux"

Bien sûr, le cas Cahuzac n’a rien de comparable avec les reproches faits à la ministre de l’Éducation. L’un a fraudé et a été puni par la justice pour cela, l’autre est accusée d’avoir travesti la réalité. Reste que, dans les deux cas, si le procès en "mensonge" a été si violent, c’est notamment en raison de la dissonance perçue entre les mots et les actes (présumée, dans le cas de la ministre). Concernant Jérôme Cahuzac, de nombreux médias avaient ainsi eu beau jeu de relever l’ironie - et en un sens, la double faute - dans le fait que le "fraudeur" était, en tant que ministre du Budget, chargé de traquer la fraude fiscale. De même, une ministre de l’Éducation épinglée sur une question… d’éducation, et prête à jeter le nom d’une école publique en pâture pour l’opinion, cela fait mauvais genre.

Dans son ouvrage, Thomas Guénolé rappelait que "nous ressentons envers nos élus quelque chose de l’ordre du dépit amoureux. En effet, à l’exception de nos propres conjoints, enfants et amis, nous exigeons davantage de nos élus que de toute autre personne".

Surtout, semble-t-il, si le politique en question est de gauche, bord politique jouissant - dans la théorie du moins - d’une présomption de probité morale supérieure à la droite. Lorsque l’ancien ministre de l’Intérieur socialiste, Bruno Le Roux, avait été accusé en 2017 d’avoir employé ses deux filles en tant que collaboratrices parlementaires, le poussant à la démission, le scandale avait été d’autant plus violent que les spécialistes de la chose politique s’étaient empressés de souligner (comme dans l’affaire Cahuzac) les conséquences délétères pour l’image du quinquennat Hollande, et pour la gauche dans son ensemble.

Popularité

Faut-il voir, à l’inverse, dans la seconde vie de certains autres politiques, pourtant accusés d’avoir menti, un privilège "de droite" ? Pas si l’on en juge par l’affaire Fillon, où le facteur de la couleur politique, au vu des ambitions présidentielles du mis en cause et de la gravité des faits reprochés, a semblé au contraire exacerber les critiques.

Reste que les anciens édiles levalloisiens, Patrick et Isabelle Balkany, ont certes été mis au ban de la classe politique et condamnés en justice pour blanchiment de fraude fiscale – celle-ci ayant pointé une "permanence dans le mensonge", reste que ces derniers sont aujourd’hui de véritables stars des réseaux sociaux et qu’Isabelle Balkany jouit désormais d’un surnom : "la terreur du 92".

Plus que la couleur politique, la popularité joue aussi un rôle. Qui n’a jamais rencontré un "fan" de Bernard Tapie ? Celui-ci avait pourtant reconnu, dans une phrase devenue culte, avoir menti mais "de bonne foi" lors du procès VA-OM. De la même façon, à l’époque de la mise en examen de Patrick Balkany, plusieurs Levalloisiens avaient même créé une association pour payer sa caution. Un peuple satisfait est-il un peuple prêt à fermer les yeux sur les errances de ses élus ? Ou alors, ce serait une question d’affect. On se souvient de François Mitterrand, dont les mensonges tant sur les écoutes de l’Élysée, sa double vie et sa maladie ont défrayé la chronique. Nostalgie bienveillante ou romantisme à la française, les traditionnels baromètres Ifop confirment d’année en année une popularité tenace.

Prouver l’intention

Dans Sur le mensonge, Saint-Augustin décrivait celui-ci comme le fait d’énoncer une chose fausse avec "l’intention" de tromper. Peut-être est-ce là le facteur déterminant qui a valu à certains une éphémère polémique, plutôt qu’un lourd scandale. Surtout, si, comme le préconisait l’auteur de L’Art du mensonge politique (un texte attribué à Jonathan Swift) l’on a soustrait ses mensonges "à toute vérification possible". Certains se souviennent peut-être de la singulière polémique ayant visé Laurent Wauquiez en 2008. Lors de la mort de Sœur Emmanuelle, ce dernier avait assuré l’avoir rencontrée "une dizaine de fois", ce que des proches de la religieuse avaient contredit. C’en est ainsi en politique : version contre faits, le mensonge peut coûter cher ; version des uns contre version des autres, l’ambiguïté protège.