Moisissures, passoires énergétiques... Des logements vétustes loués aux étudiants de La Souterraine
Le boîtier de plastique blanc est constamment rempli. L’absorbeur d’humidité de Julien (1) paraît bien dérisoire face au problème qu’il rencontre dans le studio de 35 m² qu’il occupe, dans un immeuble ancien du centre-ville de La Souterraine.
Des gouttes d’eau perlent sur l’un des murs froids de sa chambre. Ainsi que dans la salle de bains, où des traces de moisissure sont visibles par endroits.
Moisissures et grosses factures d’électricitéLa moisissure que l’étudiant en arts appliqués redoute plus que tout depuis qu’il est entré dans le logement, il y a deux ans. « L’humidité s’accumule si je n’ouvre pas régulièrement les fenêtres. Si je laisse mon lit contre le mur durant une semaine, il commence à y avoir des moisissures dessus, assure le jeune homme de 20 ans, qui dit payer un loyer mensuel de 310 euros, hors charges. Je suis parti faire un stage de trois mois dans une autre ville l’été dernier. Lorsque je suis rentré, l’ensemble des textiles et des bois était moisi », poursuit-il.
Preuves à l’appui : des photos conservées dans son smartphone montrant draps et oreillers maculés de taches brunes. Cette humidité implique donc un problème de salubrité. Mais aussi de confort thermique, ce qui se ressent sur les factures d’électricité du locataire :
J’ai dû payer 1.000 euros de rattrapage à mon fournisseur d’électricité en fin d’année dernière. J’ai ensuite fait passer mes mensualités de 40 à 120 euros
Julien est loin d’être le seul des quelque 237 élèves inscrits en formation supérieure d’arts appliqués au lycée Raymond-Loewy à être confronté à ce genre de situation dans son logement. Comme en témoignent les résultats d’une petite étude réalisée par la communauté de communes du Pays sostranien sur le logement étudiant, au second semestre 2022.
« Nous voulions voir comment se structurait l’offre locale de logement à destination de cette catégorie de personnes. Nous avons donc transmis un questionnaire sur le sujet à l’association des étudiants de la ville. Nous avons reçu 56 réponses. Ce qui est plutôt un bon ratio rapporté à l’effectif étudiant total de La Souterraine », indique Antoine Reynaud, en charge du suivi du programme d’amélioration de la qualité de vie “Petites villes de demain” auprès de la Com-com.
La Com-com diffuse un questionnaire auprès des étudiantsLes retours des étudiants sont alors sans appel : seulement 57 % des répondants estiment que l’état du gros œuvre (couverture, escaliers, balcon...) de leur logement est “bon”. 9 % d’entre eux pensent qu’il est “mauvais” et plus de 5 % le qualifient de “dangereux”.
Les étudiants ont parfois adjoint des descriptions à leurs réponses : « Il fait 9 degrés en hiver et 32 en été », « Pas d’eau chaude quand les voisins l’utilisent, des murs qui moisissent à chaque grosse pluie/orage, une isolation qui fait peur, des escaliers branlants.. », « Problème d’isolation, fuite d’eau liée à la pluie, vieux bâtiment donc partie commune un peu désastreuse »…
Le contenu de ces témoignages rejoint celui de ceux que nous avons pu nous-mêmes recueillir. « Nous sommes six dans notre classe et une seule personne n’a pas de problème avec son logement », affirme ainsi une étudiante de troisième année de DNMAD (Diplôme national des métiers d’art et du design).
« Le mauvais état des logements est un sujet récurrent pour la plupart de mes camarades qui sont notamment confrontés à des problèmes d’isolation », corrobore Laurette Vin, qui fut vice-présidente l’Association des étudiants de La Souterraine (Adels) jusqu’en mars 2023.
Passoire thermique. Un logement est officiellement considéré comme étant une “passoire thermique” si sa classe énergétique est F (consommation d'énergie finale de 331 à 420 Kwh/m2/an) ou G (consommation d'énergie finale supérieure à 421 Kwh/m2/an).
Le parcours locatif de Nikita Robert à La Souterraine est aussi particulièrement éloquent en matière de mal-logement. Désormais diplômée, celle-ci a étudié trois années à La Souterraine. Et a loué autant d’appartements dans la petite ville creusoise. Parmi eux, seul le dernier qu’elle ait occupé était « très bien », selon elle.
Pour le reste, la jeune femme qui a quitté la Creuse en 2023, a, dit-elle, dû vivre dans un confort plus que sommaire. Particulièrement dans l’appartement qu’elle a occupé en 2021-2022.
Il y a eu une fuite de gaz et le chauffage n’a pas fonctionné de janvier à mars. Le propriétaire n’a pas fait le nécessaire pour le réparer ou le remplacer. Il ne m’a même pas fourni de radiateur d’appoint, c’est une copine qui m’en a prêté un.
Nikita Robert n’est visiblement pas la seule à avoir été confrontée à ce cas de figure. Comme l’explique, de son côté, Julien : « J’ai contacté mon propriétaire pour lui faire part de la situation. Il m’a fait des réponses évasives, en disant qu’il allait faire venir des ouvriers, mais qu’il n’en trouvait pas », confie le locataire, dont le studio est situé au rez-de-chaussée d’un immeuble ancien, au-dessus d’une cave non-isolée.
« Tout ce que je touche avec mes loyers sert à régler mon crédit »Contacté, le propriétaire en question a accepté de nous répondre, en souhaitant rester anonyme. « On ne veut pas faire dormir les gens dans n’importe quoi. Mon objectif est de faire des travaux d’isolation début 2024 », assure-t-il. L’homme dit posséder « 80 % de l’immeuble » et que les logements qu’il loue seraient de classes énergétiques « C ou D ». Il dit ne pas pouvoir engager de chantier de rénovation d’ampleur, faute de moyens :
On est obligé de faire les choses au fur et à mesure. J’ai plus de 3.000 euros de taxe foncière à payer. Tout ce que je touche avec mes loyers sert à régler mon crédit. Et pour pouvoir avoir des aides, il faudrait que je sois smicard ou sans emploi.
Ce contexte, comme les résultats de l’étude réalisée par l’intercommunalité, ne surprennent pas particulièrement Etienne Lejeune, maire de La Souterraine et président de la communauté de communes du Pays sostranien :
Cela correspond à l’image que nous nous faisons de l’état du logement à La Souterraine et en Creuse, particulièrement dans les centre-villes et les centre-bourgs. Nous constatons un mauvais état général du parc de logements à louer, qui sont souvent vétustes ou des passoires thermiques.
Les pouvoirs publics seraient-ils en mesure de proposer des solutions de logement s’adressant spécifiquement aux étudiants sostraniens ? Joint par mail, le Rectorat de Limoges avance que « la question du logement [...] ne relève pas de l’académie ». Et nous conseille de nous adresser « au Crous (2) ou au Conseil régional ». Le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine nous fait savoir que le logement des étudiants n’est pas une « compétence région »…
Par ailleurs, il n’existe pas, à La Souterraine, d’offre locative relevant du Crous de Limoges. « Nous ne pouvons pas être présents dans toutes les villes où il y a des étudiants. Les coûts de construction et de gestion d’une résidence seraient trop importants, rapporté à un effectif de moins de 250 personnes inscrites dans le supérieur à La Souterraine, avance Christophe Avril, directeur adjoint du Crous de Limoges. En insistant sur le fait que seulement « 10 % des 21.000 à 22.000 étudiants présents dans l’académie de Limoges » bénéficient d’un logement du Crous. Christophe Avril informe, d’autre part, que des étudiants en difficulté peuvent bénéficier d’une allocation ponctuelle pour les aider à payer des « dettes liés à leurs loyers ou à leurs factures d’énergie ».
Location. Les logements de classe G+, qui consomment plus de 450 kWh/m²/an d'énergie finale, sont interdits à la location, depuis le 1er janvier 2023. Au 1er janvier 2025, il faudra au moins disposer de la classe énergétique F pour louer un logement, puis de la classe E en 2028, et de la D en 2034.
Opération d’amélioration de l’habitatDe son côté, Etienne Lejeune affirme que la « relance du logement va devenir la priorité absolue de la communauté de communes pour les dix années à venir ». L’édile indique que l’intercommunalité lancera cette année une Opération programmée d’amélioration de l’habitat (OPAH) « avec des moyens conséquents, en travaillant avec la Région et l’État ».
L’objectif, selon le président de la Com-com ? « Inciter les propriétaires bailleurs à rénover leurs logements en les accompagnant financièrement. » Et ce en leur permettant de bénéficier d’aides « plus importantes que ce que permet habituellement la loi ». L’idée est également de pousser les personnes à louer ou à vendre leurs biens en instaurant une taxe sur les logements vacants.
En attendant, les jeunes locataires font état d’une certaine résignation. « Il y a parmi nous une forme d’acceptation des difficultés liées à l’habitat, confesse Julien. Les appartements que nous pouvons louer ici ne sont pas parfaits, mais les loyers sont bien moins chers qu’à Paris et les surfaces sont bien plus grandes. »
Souvent amenés à déménager dans une grande ville après leur passage en Creuse, les étudiants de Raymond-Loewy seront sans doute confrontés à des problématiques d’autres natures, en lien avec le logement, dans la suite de leurs parcours…
Des chambres louées par Creusalis. Actuellement, Creusalis, Office public de l’habitat de la Creuse, est le seul organisme à proposer des logements spécifiquement dédiés à des étudiants à La Souterraine. Six chambres sont accessibles à ce public, dans le quartier du Puycharraud, près du lycée Raymond-Loewy, selon « les mêmes conditions de ressources que les autres logements sociaux », informe Ronan Rabot, directeur des ressources internes de Creusalis. Ces chambres sont louées meublées contre 261,64 euros mensuels, charges comprises (électricité, chauffage, eau, wifi). Toutes sont équipées de lavabos. Mais douches, WC et cuisine se trouvent dans des espaces communs. Les locataires partagent également deux réfrigérateurs, un four micro-ondes, un lave-linge, un sèche-linge ou encore un téléviseur.
François Delotte
(1) La personne interrogée n’a pas souhaité que son nom de famille soit mentionné dans l’article.(2) Centre régional des œuvres universitaires et scolaires.